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Un expert judiciaire peut-il être mauvais dans votre domaine ?

Zythom - Blog d'un informaticien expert judiciaire - Zythom, 8/04/2013

Cela fait maintenant plus de 14 années que j'ai prêté le serment de l'expert judiciaire, et donc autant d'années où je suis confronté aux regards des autres sur cette activité, surtout depuis que j'ai ouvert ce blog, en septembre 2006.

Et une question revient souvent de la part de mes interlocuteurs: un expert judiciaire peut-il être mauvais dans son domaine d'expertise, qui se trouve être le votre?

La question n'est pas toujours posée aussi directement. Elle apparaît souvent en filigrane dans certaines critiques que je peux lire sur internet, et dans les questions que l'on me pose sur le processus d'inscription des personnes sur les listes auprès des tribunaux. La question est souvent posée par des spécialistes très compétents dans leur domaine, et qui ont été déçus par une rencontre avec un "expert".

Je pourrais évacuer le problème en répondant: "oui, il y a des experts judiciaires nuls". Je sens déjà la crispation des présidents de compagnies d'experts qui me lisent et la bronca de certains experts judiciaires qui ne portent pas mon blog dans leur cœur (mais qui me lisent quand même ;-).

Mais c'est vrai qu'on me dit qu'il y a des experts judiciaires nuls...

Tout dépend cependant de ce que l'on entend par "nuls". J'ai déjà raconté ici cette anecdote du DSI d'un grand groupe qui venait d'être inscrit sur la liste des experts judiciaires et qui ne semblait pas connaître grand chose de l'analyse inforensique d'un disque dur... Effectivement, cette personne serait peu inspirée d'accepter une mission où il aurait à faire une telle analyse technique. Mais peut-on considérer pour autant qu'il soit un expert judiciaire "nul"? N'a-t-il pas des compétences (que je n'ai pas forcément) sur la gestion d'un grand service informatique, ou plutôt d'un service informatique d'un grand groupe? N'est-il pas avisé sur les questions de bonnes pratiques du management d'un système d'information? Sur son organisation?

Qui suis-je pour en juger?

Une des ambiguïtés du terme "expert judiciaire" vient du mot "expert". Prenons tout d'abord sa définition dans le dictionnaire en ligne de l'académie française:

Expert:
Personne particulièrement qualifiée dont la profession consiste à se prononcer sur l'origine, l'authenticité, la valeur d'un objet d'art ou d'un objet de collection. Un expert en timbres, en meubles de style, en faïences, en livres anciens. L'expert estime que ce tableau, cet autographe est un faux. Faire appel à un expert pour fixer une mise à prix.
Par extension: Toute personne qui, connaissant bien un domaine particulier, en a fait sa spécialité. C'est un expert en architecture médiévale. Plus qu'un connaisseur, c'est un expert.

Pour autant, je trouve intéressante la page Wikipédia consacrée à l'Expert:
"L'expert n'est pas simplement celui qui sait, sur un champ délimité de savoir. Son expérience reconnue lui permet d'apporter une réponse argumentée à une demande d'expertise. Il faut le différencier du savant et aussi du spécialiste."

Son expérience reconnue... Mais par qui et comment?
Un expert doit être différencié du savant et du spécialiste...

La confusion augmente quand on sait qu'un certain nombre de professions utilisent le mot "expert":
- expert en assurances
- expert-comptable
- expert immobilier
- géomètre-expert

Une recherche du mot "expert" dans les fiches métiers de pole-emploi retourne 19 résultats...

Finalement, nos anciens auraient peut-être été bien inspirés d'éviter le mot "expert" et de lui préférer le mot "technicien". Mais l'expression "technicien judiciaire" a du paraître moins prestigieuse à certains.

De mon point de vue, l'expert judiciaire est un généraliste de sa spécialité avec une bonne expérience. Il est moins bon qu'un spécialiste pointu (mais il peut le comprendre et échanger avec lui), mais il possède des connaissances plus larges (un minimum de connaissances en droit, une vision large de son domaine d'activité). Il faut également un minimum d'expérience pour pouvoir estimer les bonnes pratiques, les règles de l'art ou les préjudices subis.

La nomenclature qui définit les domaines dans lesquels l'on peut être expert judiciaire a été publiée dans l'arrêté du 10 juin 2005 (JO du 28/06/2005 texte 12 pdf). Concernant l'informatique, il y a plusieurs rubriques, comme par exemple:
- E.1.1. Automatismes
- E.1.2. Internet et multimédia
- E.1.3. Logiciels et matériels
- E.1.4. Systèmes d’information (mise en oeuvre)
- E.1.5. Télécommunications et grands réseaux
- F.5.5. Biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication
- G.2.5. Documents informatiques

Cette dernière rubrique (Documents informatiques) étant dans la section G: "Médecine légale, criminalistique et sciences criminelles", sous section G.2: "Investigations scientifiques et techniques"...

Je suis pour ma part inscrit uniquement dans la rubrique "Logiciels et matériels" (ne me demandez pas pourquoi). Tous les informaticiens comprendront que cette rubrique est extraordinairement vaste et couvre tous les aspects de l'informatique.

C'est pour cela que je me sens "généraliste".

Suis-je pour autant bon dans ce domaine? Je dirais que je me sens tout petit quand je lis par exemple certaines épreuves d'Insomni'Hack, ou le programme du SSTIC 2013... Ce qui fait que les spécialistes en sécurité informatique, confronté à une expertise judiciaire, pourraient en déduire que je suis nettement moins bon qu'eux. Pour autant, je suis capable de comprendre leurs explications, voire de les rendre claires. Et c'est justement ce que me demande les magistrats (ou les avocats): déchiffrer la complexité technique d'un dossier pour qu'ils puissent prendre la décision juridique appropriée.

Je suis un généraliste de l'informatique confronté à des spécialistes. Et comme en médecine, parfois, les spécialistes regardent un peu de haut le médecin généraliste.

Donc, pour répondre à la question qui fait l'objet du billet, oui, un expert judiciaire peut vous sembler mauvais dans votre domaine d'expertise. Mais ce n'est pas ce qu'on lui demande. On lui demande de comprendre vos explications de spécialistes et de répondre clairement et scientifiquement à des questions posées par un magistrat ou un avocat.

Et de donner son avis en son honneur et sa conscience.

Retrouvez l'article original ici...

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