Entre les comédies au sol, ils jouent parfois au foot !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 26/02/2018
Je n'ai bien sûr jamais été joueur professionnel de foot. Mais au collège à Montargis, durant plusieurs années, ce fut mon sport préféré.
Puis je suis devenu un remarquable sportif en chambre, marquant au feutre rouge les dates des matchs importants et tentant de fuir l'inanité, la surabondance, la redondance et souvent le piètre français des commentaires, grâce à l'incomparable enseignement prodigué par le silence signifiant des images et à l'écoute simultanée de la musique classique, ce qui me permettait, ainsi qu'à mon épouse, d'avoir notre part de bonheur.
Quand j'ai l'opportunité de pouvoir demeurer chez moi un dimanche, j'avoue sans honte que les trois matchs du championnat de France ne me font pas peur.
Aussi je ne me sens pas moins légitime que tout autre amateur (au sens étymologique) pour donner mon point de vue sur les vices du football français.
On m'a dit que Pierre Ménès n'avait jamais joué au foot et pourtant ses jugements sont assez souvent acerbes sur des joueurs, des entraîneurs et des arbitres. Il n'a pas toujours tort.
Autrement dit, même si on n'est pas Kopa, Platini ou Zidane, le propre du foot est de favoriser le droit à une expression mélangeant science, technique, sagesse populaire et bon sens. Le foot appartenant à tous, tout le monde peut s'autoriser à en parler et les autres autorités, aussi compétentes qu'elles apparaissent, n'ont pas plus de légitimité à s'exprimer que le profane. Le sélectionneur Didier Deschamps sait qu'il peut compter, pour l'aider, sur chaque Français ! C'est comme en politique : j'ai l'impression que les citoyens seraient souvent les meilleurs journalistes.
Qu'on m'entende bien : je suis admiratif de la condition physique des joueurs, souvent de leur technique, parfois de leur talent. Le PSG du Qatar m'agace par certains côtés mais j'admets l'immense supériorité de cette équipe en France et je croise les doigts pour le 6 mars. Je suis furieux face aux scandaleuses erreurs d'arbitrage comme par exemple le penalty imaginaire accordé à Toulouse contre Monaco. Je peux m'indigner de voir tant de mauvaises passes, d'ouvertures approximatives, d'imprécisions fréquentes et de coups de pied de coin mal tirés alors que pour certains joueurs les salaires sont mirobolants et exigeraient plus de constante fiabilité. Ils sont fatigués à la longue certes mais la lassitude ne saurait tout excuser.
Mais tout cela relève en quelque sorte des doléances classiques, banales, des récriminations ordinaires.
Je voudrais attirer l'attention sur un phénomène qui se reproduit à chaque match en France et qui est d'autant plus exceptionnel qu'on ne l'observe pas par exemple dans les championnats anglais ou espagnol où les arbitres sont en général plus respectés. Même quand les nôtres sont excellents, il est vrai rarement, il y aura toujours, malgré tout, des discussions, contestations, grossièretés et offenses comme si l'arbitrage avait vocation en permanence à être décrédibilisé.
Le phénomène que je veux dénoncer est cette habitude perverse de voir à chaque affrontement, à chaque charge, à chaque tacle, à chaque lutte épaule contre épaule, à la moindre proximité vigoureuse, n'importe quel joueur, français ou étranger, s'effondrer puis se tordre de douleur à terre, comme s'il était à l'article de la mort, alors que le spectateur ou le téléspectateur peuvent voir à l'oeil nu que l'outrance, la comédie, le chiqué sont au rendez-vous. Puis chacun se relève, ayant ainsi obtenu un carton jaune au détriment de l'adversaire. Et tout recommencera.
Même quand personne n'y croit, on valide, on fait semblant, on ferme les yeux. Et on légitime l'insincérité. Parce qu'on n'ose pas douter de la réalité de ces ostensibles souffrances, ils ont forcément mal !
Michel Platini désirait un jour qu'on supprimât les tacles dans le foot. Ce ne sont pas les tacles qui sont à abolir mais leur exploitation choquante par des tricheurs.
Le dimanche 25, par exemple dans les trois matchs, il était hallucinant de voir le peu de temps de jeu utile tant l'essentiel se déroulait au sol. Le Clasico a battu le record des fautes. Le comble a été que face à ces singeries indignes de la virilité sportive, jamais aucun carton pour simulation n'a été notifié alors que clairement le ballon avait été disputé et non pas l'homme qui avait été délibérément touché (Canal Football Club, beIN Sports). J'en ai vu un tenu au bras s'écroulant comme s'il était à la dernière extrémité par je ne sais quelle étrange coordination. Il y a de l'abus. C'est de la fraude. On ne la supporterait pas ailleurs.
Le championnat de France aurait-il cette triste particularité de fabriquer un climat de fragilité et d'hypocrisie détestable qui affecterait chaque joueur et favoriserait une comédie feignant des chocs et des blessures graves alors que la réalité est sinon anodine du moins conforme à la virilité inhérente à ce jeu collectif ?
Le paradoxe est qu'après mille grimaces et douleurs prétendues, il arrive parfois qu'une véritable blessure soit causée. Ainsi Neymar qu'on a le droit d'à peine charger sans qu'il tombe a, pourtant, après tant de chiqués mélodramatiques, été réellement victime d'un coup à la cuisse et j'espère qu'il sera rétabli le 6 mars. A force on n'y croit plus et la comédie incessante fait oublier la vraie rudesse.
Il n'y a pas de raison que le championnat de France soit le seul à être gangrené par cette immense et lassante supercherie qui nous prive du jeu et constitue les joueurs comme des comédiens.
Le pire heureusement n'est pas toujours sûr et quelques joueurs ont tellement le sens de leur virilité et dignité qu'ils tiennent debout, ne s'affalent pas à la moindre secousse et ne grimacent pas à l'excès pour apitoyer et tromper l'arbitre. Un Cavani, un Mbappé, un Perrin, un Sala sont, notamment des exemples sur ce plan.
Tant qu'on ne considérera pas comme scandaleuse cette lassante représentation de la douleur fictive qui vient troubler la superbe représentation de l'authentique football, on ne réglera rien. L'arbitre au début du match devrait alerter les deux capitaines et s'en tenir à cette règle simple que toute simulation entraînera un avertissement puis une sanction.
Le football est trop passionnant, suscite trop de nostalgie chez moi pour que je m'accommode de tant de footballeurs rompant exprès son rythme, altérant son intensité et dissipant sa magie.
Kopa toujours à terre n'aurait plus été le Napoléon du football.