Un massacre, un crime : pensées tristes d'une semaine...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 29/03/2018
Nous sommes au terme d'une semaine épouvantable.
Malgré leur concomitance, les tragédies ne se ressemblent pas.
Un massacre à Trèbes, un crime à Paris.
On a beaucoup cherché à définir, à partir de l'héroïque exemple d'Arnaud Beltrame, ce qu'était un héros. Il me semble qu'on a oublié un élément essentiel parce qu'il aurait moins renvoyé à une illustration éclatante de la personnalité du colonel de gendarmerie qu'à notre propre prise de conscience (le Figaro).
Pour moi - je ne sombre pas avec cette lucidité dans un masochisme malsain - le héros est d'abord, fondamentalement, ce que je ne suis pas, ce que je ne pourrai pas être, ce que je ne saurai devenir. J'entends bien qu'on cherche autant que possible à rapprocher le courage et la générosité inouïs de Trèbes de notre humaine condition en répétant qu'Arnaud Beltrame nous a donné une leçon, nous a enseigné quelles étaient les vraies valeurs et qu'au fond nous étions dans le même monde que lui.
Je ne le crois pas une seconde. La leçon que sa mort sacrificielle nous communique, nous serons toujours incapables, à mon sens, de l'apprendre parce qu'il a été lui et que nous sommes nous. Qu'on se hausse pour s'exalter et rêver de cet idéal en l'imaginant atteignable, pourquoi pas ? mais il ne faut pas être dupe. La gloire du héros est indissociable de notre intime modestie, de la perception de nos limites. Ce qui ne nous interdit pas, bien au contraire, d'admirer profondément cette humanité miraculeuse. Elle nous honore précisément parce qu'elle nous serait inaccessible, parce qu'elle nous manque.
La problématique historique la plus éclairante à ce sujet est la multitude des citoyens qui, aujourd'hui, sans l'ombre d'une hésitation, sont persuadés qu'ils auraient été de magnifiques et authentiques résistants au nazisme.
Quand la mère d'Arnaud Beltrame tire de cette terrifiante épreuve la force de remercier pour cette union nationale et a l'allure de transmettre pour unique conseil "d'aimer la vie", je relève que la famille a eu le héros qu'elle méritait et que ce dernier a eu la famille qu'il devait avoir.
Un massacre, un crime.
L'assassinat de Mireille Knoll, victime âgée de 85 ans, de confession juive, réchappée des camps, ayant survécu à une horreur unique pour mourir dans une horreur quotidienne, est d'abord, surtout une monstruosité humaine.
La motivation antisémite, si elle est confirmée à l'issue de l'instruction - mais contradiction sur ce point entre les mis en cause (Le Parisien) - après avoir été retenue de suite par le Parquet (pour compenser la lenteur du processus dans l'affaire Sarah Halimi ?) - ajouterait au mobile lucratif une haine intégriste et un concentré des éternelles insinuations sur les juifs qui auraient forcément de l'argent et du pouvoir. Mais ce ressort ne saurait faire oublier la nudité et la gravité intrinsèques du crime sur lequel nous avons finalement peu de détails. Je ne serais ni heureux si l'inspiration antisémite était validée ni désolé si elle ne l'était pas. La monstruosité criminelle, humaine, se suffit dans tous les cas à elle-même.
Cette évidence dont l'existence a indigné, meurtri et mobilisé la conscience nationale dans son ensemble a rendu à la fois choquantes et absurdes les réactions partisanes du président du CRIF Francis Kalifat qui a prétendu privatiser, communautariser ce qui, se rapportant à un universel du crime et de la compassion, aurait dû être un rassemblement de l'unité et pas une foire d'empoigne où certains manifestants ne se sont pas illustrés.
Qu'on hue Marine Le Pen qui était présente parce que le fils de la victime David Knoll avait avec dignité réparé les graves bévues du CRIF - Alain Finkielkraut les avait relevées - est déjà scandaleux même s'il était presqu'inévitable que les provocations du père sur "le détail" lui soient renvoyées en pleine face. Elle a été pourtant protégée par quelques militants de la Ligue de défense juive. Pourtant sur ce plan historique et moral, tel père mais pas telle fille !
Qu'on hue Jean-Luc Mélenchon en le traitant de "fasciste" et en lui reprochant une position politique sur Israël est innommable. L'intolérance a ceci de dévastateur qu'elle fait perdre à une cause plus qu'honorable le consensus gratifiant qui la sublime si c'est possible.
Un massacre, un crime.
A Trèbes, une monstruosité organisée, politique, visant à blesser la France et à l'affaiblir encore davantage.
A Paris, un crime atroce, singulier, quelles qu'aient été ses motivations. Une femme est morte, une famille est touchée.
Pensées tristes sur une semaine sombre.
Demain sera un autre jour.