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Marre des rétrospectives et prospectives de fin d'année !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 24/12/2015

Tant de rétrospectives et de prospectives pour s'enivrer d'hier et nous banaliser la surprise de demain ! Si on nous laissait plutôt goûter sans cesse, pour le pire comme pour le meilleur, la saveur du présent !

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Dès le début de chaque année, je pense à ce qu'on devra subir à sa fin.

J'éprouve une nausée anticipée à l'idée des inventaires, des redites, des rediffusions et des redondances. A cause des émissions et des articles qui viendront nous rappeler ce qu'on a vécu en direct et que la plupart du temps on voudrait plutôt oublier.

Je suis par avance inquiet face aux prévisions, aux supputations pour l'avenir, à ce mélange promotionnel et, à la fois, désordonné qui, en gros, nous annonce pour l'année future ce qui aura constitué le terreau humain, culturel, médiatique, politique de l'année écoulée.

Je déteste ce rituel qui pour combler le vide nous offre une plénitude dérisoire et répétitive. Je ne parviens pas à approuver ces réflexes de l'audiovisuel, qui le conduisent à regarder derrière lui en croyant nous faire plaisir alors qu'on est lassé par la profusion accablante de ce qui nous a déjà submergés.

Mon sentiment me semble justifié même par rapport aux années que je pourrais qualifier d'ordinaires, alors bien davantage si on considère la tragique année 2015 qui a atteint, à deux reprises, la France en son coeur pour la meurtrir à mort.

Et il faut féliciter François Hollande d'avoir, contre tous les spécialistes du désarmement, maintenu la déchéance de nationalité dans le projet de révision constitutionnelle.

Pour revenir à ces rétrospectives et à ces prospectives, elles sont encore plus grotesques si on veut bien les appréhender dans le détail.

Même si aucun média ne va y échapper, force est de reconnaître que L'Obs a fait "fort" dans ce double registre.

Sur 2015 par exemple, il nous pose une question qui accompagne une belle photographie de Léa Salamé :"2015, Léa Salamé, qui d'autre ?". Mais si les citoyens avaient été consultés, et pas seulement le corporatisme médiatique se persuadant que son nombril est l'univers, tant d'autres noms auraient pu être cités qui n'auraient pas confondu la visibilité avec la qualité. Sans provocation je formule cette seule interrogation : aussi bien sur France Inter que sur France 2 avec Laurent Ruquier, quelle a été la question révélant profondeur, intuition et originalité, sortant le téléspectateur et l'auditeur du conformisme, ouvrant des perspectives inattendues sur l'invité, son esprit, ses livres, ses positions ?

S'il y en avait une, même une seule, Léa Salamé aurait mérité ces hyperboles dangereux parce que l'écart est grand entre eux et sa réalité. Comme pour Claire Chazal hier.

Mais L'Obs ne recule devant rien. Il nous présente une liste de personnalités "qui vont faire 2016" et qui peu ou prou auraient pu se trouver aussi bien en lumière au cours de 2015.

On a déjà le droit de discuter le choix de celles-ci, son caractère incongru parfois ou purement privatif. Mais quand la sélection est pertinente, nécessaire, l'absurdité atteint son comble au regard des personnes désignées pour écrire les contributions. J'entends bien que ce peut être un effet de surprise que de créer un contraste total entre le sujet et son rédacteur mais tout de même !

Jérôme Cahuzac par Hervé Falciani, le pape François par Thomas Thévenoud, Marc Trévidic par l'acteur jouant le juge d'instruction dans Engrenages, Marine Le Pen par Yassine Belattar, autant d'anomalies qui n'avaient pour finalité que de manifester le plus de distance possible entre celui ou celle dont on parle et son analyste ! On aurait pu craindre le pire : un criminel décrit par sa victime !

Il y a heureusement des cohérences et des réussites : Les frères Coen par Arnaud Desplechin, John Le Carre par Pierre Assouline ou Hillary Clinton par Ségolène Royal!

Le fond me paraît ici ou là discutable. Marc-Olivier Fogiel s'est attelé à la lourde tâche de dire du bien de Joey Starr. En gros il nous indique qu'il l'apprécie parce qu'il reste le même et qu'il ne se renie jamais. Je songe à la phrase de Paul Valéry : "être soi, cela en vaut-il la peine ?". Et puis ne pas se renier est une vertu seulement si le premier mouvement est valable ! S'il ne l'est pas, se renier relève du devoir !

Dès que 2016 pointera sa fraîcheur, je serai pris de malaise parce que nous serons confrontés forcément, juste avant 2017, à tant d'événements déjà vécus et absorbés que l'indigestion nous mettra sur le flanc.

Tant de rétrospectives et de prospectives pour s'enivrer d'hier et nous banaliser la surprise de demain !

Si on nous laissait plutôt goûter sans cesse, pour le pire comme pour le meilleur, la saveur du présent !


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