Scientologie : c’est quoi, une religion ?
Actualités du droit - Gilles Devers, 15/12/2013
Question religion, la France, arthrosiquement souffrante, reste coincée dans ses fantasmes et ses peurs idiotes (en quoi la spiritualité est-elle une menace pour le pays ?). Pourtant, ça bouge de partout, et cette semaine, la Cour suprême de Londres a fait un grand pas en avant, qui devrait aider à ouvrir les yeux. Espérons…
La Cour Suprême de Londres…
Tout part des amours de deux jeunes londoniens, Louisa Hodkin et Alessandro Calcioli, qui souhaitaient se marier dans une chapelle de l’Eglise de Scientologie, et devant un officiant scientologue. Avec cette précision qu’en Grande-Bretagne, le mariage religieux a pleine valeur juridique, c'est-à-dire qu’il n’y a pas lieu de le faire précéder d’un mariage civil.
Les autorités civiles avaient refusé, et une cour d’appel avait confirmé ce refus, par référence à un arrêt de la Haute Cour, de 1970, qui exigeait pour admettre le caractère religieux d'une association la « vénération de Dieu ou d’un être suprême ». Ce n’est pas le cas de l’Église de scientologie, et de ce fait, le groupe était resté exclu de la liste officielle des lieux de culte.
Les cinq juges de la Cour suprême, dans un arrêt rendu à l’unanimité ce 11 décembre, ont inversé cette jurisprudence, jugeant que la notion de « religion ne doit pas être limitée aux seules croyances comportant la notion de divinité suprême ». Exclure les spiritualités sans dieu serait « une forme de discrimination religieuse inacceptable dans la société actuelle », la Cour évoquant le bouddhisme. Les magistrats ont également souligné que ce n’était « pas le rôle des services de l’état civil de s’aventurer dans des subtilités théologiques ou liturgiques poussées ».
Le Royaume-Uni adopte ainsi le droit commun de la liberté de culte, et pour ce qui est de l’Eglise de scientologie, il rejoint les nombreux pays qui admettent le statut religieux : Etats-Unis, Italie, Espagne, Hollande, Suède et nombre d’autres Etats en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique.
Le gouvernement tousse, avec le ministre des collectivités locales, Brandon Lewis, qui pleure devant les exemptions fiscales à venir, et le ministre de l'éducation, Michael Gove, pour qui la Scientologie est «une secte nocive fondée par un individu pour s'enrichir en exploitant les plus faibles». Pourquoi pas, mais c’est perdu d’avance, comme le montre l’analyse de la jurisprudence de la CEDH.
La CEDH…
Au sens de la Convention, telle que garantie par l’article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion est l’un des fondements d’une « société démocratique ». Elle est, dans sa dimension religieuse, l’un des éléments les plus vitaux qui confèrent aux croyants leur identité et leur conception de la vie, mais elle est aussi un atout précieux pour les athées, agnostiques, sceptiques ou indifférents car le pluralisme, indissociable d’une société démocratique, si chèrement acquis à travers les siècles en dépend (CEDH, Eglise Métropolitaine de Bessarabie c. La Moldavie, n°. 45701/99, § 114).
Tout en étant principalement une affaire de conscience individuelle, la liberté religieuse implique aussi la liberté « de manifester sa religion » seul, en privé ou en communauté, en public et dans le cercle de ceux avec lesquels on partage sa foi. Comme les communautés religieuses existent traditionnellement sous la forme de structures organisées, l’article 9 doit être interprété en combinaison avec l’article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre des ingérences injustifiées de l’Etat.
Vu sous cet angle, le droit des croyants à la liberté de religion qui inclut le droit d’exprimer ses croyances en groupe, porte en lui l’espoir pour les croyants, de pouvoir s’associer librement sans intervention arbitraire de l’Etat. L’existence autonome de communautés religieuses est indispensable au pluralisme d’une société démocratique et par conséquent une question au cœur de la protection garantie par l’article 9. Le devoir de neutralité et d’impartialité de l’Etat défini par la jurisprudence de la Cour est incompatible avec tout pouvoir de la part de l’Etat d’évaluer la légitimité des croyances religieuses (CEDH, Eglise Métropolitaine de Bessarabie, précité, §§ 118 et 123 ; CEDH, Hasan et Chaush c. Bulgaria [GC], n°. 30985/96, § 62, CEDH 2000-XI).
Le droit à la liberté de religion exclut toute appréciation de la puissance publique sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d'expression de celles-ci (CEDH, 26 sept 1996, Manoussakis c/Grèce).
Pour accorder le bénéfice de l'article 9, la Cour doit vérifier que cette croyance a un contenu identifié, si ce n'est un corpus théorique. Le contenu formel des convictions doit pouvoir être identifié (CEDH, 25 fév. 1982, Campbell et Cosans c/R-U, A-48, § 34). Le critère n'est pas formel, tel l'organisation du groupement ou le nombre des adeptes, mais substantiel, c'est-à-dire faisant apparaître l'attachement à une croyance partagée. Un rite ne désigne pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion. (Comm. EDH, 15 janv. 1998, Boffa c/Saint Martin, DR 92 A33).
S'agissant des mouvements sectaires, le sort des recours dépend des diligences de l'Etat à fournir aux instances européennes les éléments justifiant la gravité du trouble à l'ordre public. A défaut, c'est la logique libérale de la Convention qui l'emporte. Les Etats doivent assurer aux fidèles « la paisible jouissance des droits garantis par l'article 9 notamment lorsque un conflit surgit entre les libertés de religion et d'expression » (CEDH, Otto-Preminger c/Autriche, 22 sept. 1994). D’une simplicité biblique.
Le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU
La France croit pouvoir jouer encore quelques temps la carte de l’obscurantisme laïcard, mais c’est une impasse, car cet intégrisme militant a rompu les amarres avec la raison. Les grandes passions collectives ne cèdent pas en quelques mois, surtout quand elles sont entretenues par le pouvoir pour faire du consensus sur le dois des minorités. Mais le seul ciment étant l’instrumentalisation de la peur, ça ne mènera pas loin. Nous avons encore eu droit la semaine dernière à une grande scène d’exorcisme, pour deux lignes sur le foulard à l’école, extraites d’un rapport de 200 pages. Une grosse crise collective d’urticaire, c’était rigolo à voir.
Rigolo, car le rapport a été aussitôt enterré pour ce simple motif. Rigolo, car la loi de 2004 n’est menacée par ce rapport, mais par le Comité des Droits de l’Homme qui a demandé à la France de changer la loi de 2004 sur le foulard à l'école. Les obtus font comme s’ils n’ont rien entendus, mais la piqûre de rappel viendra, et tôt ou tard, il faudra abroger cette loi qui viole le droit. Un membre permanent du Conseil de sécurité qui bafoue l’autorité du Comité des Droits de l’Homme ? Ben qu’est-ce qui t’arrives, François ? T’as des soucis ?
Mais il y a toujours une solution à un problème juridique. Si la France veut ignorer ce qu’est la liberté de religion, elle n’a qu’à retirer sa signature du Pacte de l’ONU de 1966 sur les droits civils, et signer un traité d’amitié avec sa nouvelle copine, la Corée du Nord.