La blague est-elle présidentielle ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 25/02/2013
Il faut bien admettre qu'on espérait, avec le nouveau quinquennat, échapper à la tentation de l'analyse psychologique sur des sujets sans importance, des attitudes superficielles ou des propos dérisoires.
Force est de constater, au contraire, que François Hollande ne nous l'aura pas permis. En effet, lors de sa visite d'une durée de dix heures au Salon de l'agriculture, à un enfant qui le questionnait : "il est où, Nicolas Sarkozy ?", il a répondu en souriant : "tu ne le verras plus!"
Pas de quoi fouetter un chat ni engager une polémique, pourra-t-on penser. Même si cette blague en suivait de peu une autre beaucoup plus discutable sur le fait que la France ne présenterait pas de candidat après la renonciation du pape.
Certes on est à mille lieues de justifier l'UMP qui, se saisissant du prétexte du Salon, accuse le président de manquer de respect à son prédécesseur et d'offenser la courtoisie républicaine. On sent l'indignation surjouée, tant il est devenu habituel pour l'opposition de ne plus appréhender les actes, les paroles ou les abstentions de François Hollande qu'avec la seule finalité d'exonérer Nicolas Sarkozy de ses propres fautes ou grossièretés. On a beau enfler l'incident, on ne parviendra pas à le mettre au niveau d'une affaire d'Etat.
Nicolas Sarkozy s'y est mis à son tour, profitant de cette broutille qui maladroitement l'a fait rentrer dans le jeu. Alors que l'indifférence du pouvoir aurait dû continuer à étouffer les mouvements et la fausse sérénité de l'ex-président (lefigaro.fr).
Il n'empêche que ce trait a amplifié l'hostilité d'un certain nombre de citoyens à l'encontre de ce président, manquant pour eux si visiblement de sérieux et incapable d'abandonner son art consommé ou non des boutades. Comme s'il était encore François Hollande et pas tout à fait le Président.
Pourtant, je suis persuadé que celui-ci s'abandonne à cette périphérie désinvolte et drôle avec la pleine conscience de ce qu'il offre aux Français. Il est trop lucide pour ne pas percevoir ce que cette dernière risque de laisser entendre sur son état d'esprit dans une période difficile. Un inguérissable plaisantin plus qu'un grave chef de l'Etat ?
Cependant, comment ne pas relever que cette manière ironique est la marque de son caractère et que nous sommes tous absolument persuadés, même ses adversaires politiques, que confronté à la même situation agressive que Nicolas Sarkozy face à cet homme refusant de lui serrer la main, il n'aurait évidemment pas réagi par le navrant "casse-toi pauvre con !". Sans doute est-ce cette impression de ne se laisser aller qu'à de l'humour indolore - il aurait méprisé tous les électeurs de Nicolas Sarkozy selon les éléments de langage de l'UMP, ce qui est un reproche grotesque !- et à une simplicité cordiale qui conduit François Hollande non seulement à ne pas se corseter mais même à ne plus avoir peur de lui-même et de ses "petites phrases".
Celles -ci n'étant jamais le reflet ou la conséquence d'un tempérament naturellement agressif, il les profère sans regret ni mauvaise conscience. Sachant ce qu'il est, il se donne le droit de s'accorder aux circonstances les plus imprévisibles comme aux plus banales de l'existence : il n'insulte pas, ne méprise pas, ne détruit pas. Au pire il se moque. Au mieux il se rapproche.
Au fond, là est l'essentiel. Dans ce rapport fugace avec l'enfant, continue à s'incarner une normalité clairement devenue impossible ou au moins superficielle dans les séquences fondamentales de l'exercice du pouvoir - il ne reste plus que ces épisodes futiles ou familiers pour manifester qu'il est demeuré François Hollande, pour alléger la gravité et se camper ainsi comme un Français qui, par son comportement et son langage, sait aussi apprivoiser une quotidienneté élémentaire.
Lui répliquant en quelque sorte, j'ose avancer que la blague, quelles que soient ses motivations, dans l'espace public ou dans des allocutions diffusées, ne constitue pas une intercession valable entre le pouvoir et la société, entre un Président et les citoyens. C'est moins l'expression de l'esprit que la dégradation de l'image - du grain à moudre pour l'adversaire et une crainte pour le partisan.
Qu'à la longue on ne se souvienne plus que des blagues, de la périphérie contre tout le poids d'une présidence vraiment pas drôle dans une France pas vraiment gaie.