Kylian Mbappé a rejoint les puissants !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/09/2017
Je mesure ce qu'il y a d'incongru à consacrer un billet non pas au football, non pas à une équipe mais à un jeune joueur de dix-huit ans, infiniment talentueux.
Je perçois aussi ce qu'il y a de vulgaire à ajouter une pierre au délire médiatique et sportif - presque comparable à celui qui a célébré l'arrivée à Paris de Neymar - ayant, ces dernières semaines, surabondé sur Kylian Mbappé (KM) transféré de Monaco au PSG pour des sommes astronomiques grâce à un prêt avec option d'achat. Le PSG respecterait ainsi le fair-play financier ?
Je n'irai pas non plus jouer au puritain aigri en accablant KM parce qu'il va être rémunéré pour ses prestations sur les terrains à un tarif défiant l'entendement. Si notre monde était juste, même en tenant compte de la spécificité de la carrière sportive,ce serait évidemment interdit. On peut ne pas croire à son indifférence quand il laisse toute la responsabilité de ces monceaux d'argent aux agents, avocats et hommes d'affaires qui ont négocié pour lui entre Monaco et Paris, voire avec d'autres clubs sur les rangs, mais écartés. Il est clair qu'ils ont eu avec lui la partie belle tant le "produit" était remarquable avec un avenir assuré pour de longues années. On peut être dégoûté par cette instrumentalisation de l'humain - je n'ai jamais méprisé les dons exceptionnels, quel que soit leur champ d'exercice - mais l'univers est ainsi fait, paraît-il, qu'il convient de s'en accommoder sauf à être qualifié de vieille baderne.
Il est passionnant en l'occurrence d'analyser l'évolution du regard sur KM depuis quelques jours. Comme si de ce jeune prodige on avait attendu, espéré autre chose. Comme si sa médiatisation et celle de son environnement, déjà intenses auparavant, étaient devenues presque insupportables à force d'excès. La lumière sur lui, acceptable et compréhensible hier, gêne aujourd'hui. Parce qu'elle ne semble plus concerner le même jeune homme qui a changé de camp dans tous les sens du terme en ayant rejoint le PSG après avoir entretenu un rapport de force - ce qui semblait si désaccordé avec son tempérament - avec son club de coeur Monaco auquel il devait beaucoup.
Certes je ne méconnais pas l'envie qui a dû être la sienne de jouer aux côtés de footballeurs dont le lustre plus ancien allait rajouter au sien plus récent. L'émulation, une saine rivalité, des exemples à suivre, une frénésie incomparable, des opportunités de victoires non seulement en France mais, qui sait, enfin en Europe, le sentiment d'avoir si tôt atteint, grâce au PSG, une gloire éclaboussante - tout pouvait en effet le conduire à ce choix de l'ambition et de l'argent.
Mais pour la première fois il a été sifflé à Metz où taclé il a exagéré l'offense, ce qui a entraîné un scandaleux carton rouge pour son adversaire de la part d'un arbitre qui en plus était un adepte du "deux poids deux mesures". KM, pratiquement dans la minute qui a suivi, a marqué un but, ce qui démontrait comme il avait bien joué la comédie !
Dans l'équipe de Monaco il était une incroyable pépite qui avec une fraternité joyeuse était admiré, sans aigreur ni jalousie, par des camarades brillants n'hésitant jamais à le mettre en valeur. Au PSG il sera un éclatant parmi d'autres et on ne pourra jamais s'empêcher de voir en lui dorénavant non seulement l'exception sportive mais l'apport dispendieux à une machine du Qatar et à sa gabegie promotionnelle. Son talent demeurera le même, peut-être même par l'influence et la concurrence s'accroîtra-t-il.
Mais il y aura moins de magie, moins de grâce parce que celle-ci est d'autant plus intensément ressentie quand elle s'exprime dans un espace qui n'écrase pas tout par l'argent et laisse encore de la place à l'imprévisible. Même si, je dois en convenir, Monaco ne souffrait pas de pauvreté !
J'admets que mon point de vue est sans doute gangrené par la détestation que m'inspire, pour des destinées qui me touchent, le risque d'être altérées voire dévoyées par l'arrogance des puissants et la profusion indécente de l'argent. La volonté d'achat du PSG - comme pour accumuler "du bétail de haut niveau" - n'est pas pour rien non plus dans mon inquiétude.
Tout me semble troublé. Son éducation parfaite n'est plus un miracle mais une normalité. Sa gentillesse, son intelligence, sa capacité de répondre dans une langue correcte aux questions même les plus basiques ne vont plus m'apparaître comme une bénédiction dans un monde - journalistes et commentateurs compris - trop souvent "razmoket" (c'était son surnom) mais telle une heureuse occurrence, rien de plus, rien de moins.
Que KM soit passé dans le clan des puissants, dans un collectif qui n'est pas seulement réuni par la passion du foot mais par la gestion d'intérêts sonnants et trébuchants, paradoxalement a rendu sa singularité banale et sa personnalité moins attachante.
Rien n'est perdu à perpétuité. Qu'il permette au PSG de remporter la Ligue des champions ou à l'équipe de France la Coupe du monde, tout sera oublié au profit d'une consécration méritée.
Mais, en l'état, ce billet émane d'un caractériel qui considère qu'on a le droit d'avoir des héros de tous âges dans son panthéon et qui est affecté quand, selon lui, une malfaçon, un défaut dégradent la statue si précocement dressée.