La route du Rom, suite mais pas fin (537)
Droits des enfants - jprosen, 25/09/2013
Avant même les propos du ministre de l'intérieur qui déclenchent une polémique au sein même du parti socialiste ou du gouvernement, je formais le projet de réfléchir à voix haute sur le sort des enfants Roms que je croise parfois dans mon cabinet et surtout que je vois en bordure des campements qui jalonnent le parcours pour se rendre au tribunal.
Si nous appliquions nos critères sur l'enfance en danger nous devrions retirer tous leurs enfants à quasiment toutes les familles roms. Non pas tant pas défaillance parentale, manque d'amour ou d'affection , mais bien évidemment pour les conditions de vie matérielles qui leur sont faites et les dangers de toutes sortes qui les menacent au quotidien dans ces caravanes ou ces cahutes de bois entourées d'immondices de toutes sortes. Je m'étonne même qu'il y ait si peu d'enfants gravement malades ou d'accidents. Ce n'est en vérité que très exceptionnellement que le juge que je suis a à connaitre de cas d'enfants roms en danger. Ce sera l’interrogation sur le retour au camp d'un nouveau-né laissé quelques jours ou quelques heures à la maternité par une mère sortie prématurément. Après m'être assuré que la mère n'est pas isolée, empêchée d'être relation avec Médecins du Monde ou la PMI, je donne le feu vert à la remise à la mère. Comment faire autrement?
Bien évidemment, le juge à également à connaître régulièrement - mais aujourd'hui moins qu'hier en Seine Saint-Denis - de ces adolescents à l'âge incertain qui cambriolent, se font remettre de l'argent au nom de pseudo-associations caritatives, ou encore abusent des clients des banques qui tendent de retirer de l'argent aux distributeurs. Pas question d'escamoter cette donnée du dossier., mais en pus de s'attacher aux enfants on devrait plus souvent remonter les filières qui les exploitent. On l'a déjà fait mais on a peu rendu publics les succès enregistrés. Surtout arrêtons de voir le peuple rom uniquement à travers la délinquance.
Il m'apparaissait d'autant plus important d'apporter un éclairage que la pression de la communauté roms sur certaines villes ou quartiers est mal vécue par leurs habitants. On pouvait craindre, on sait aujourd'hui, que la question rom sera au coeur du débat des élections municipales. Avec tous les dérapages possibles. Et ce d'autant plus qu'il n'y a pas de réponse réellement opérationnelle à court et même à moyen terme. Encore moins dans une période où les budgets publics sont en berne, crise structurelle oblige. Or justement cette crise qui frappe certainement moins dur que dans d'autres pays, sanctionnent indéniablement les moins favorisés de ce pays, voire accroie leur liste. On imagine mal des crédits débloqués en masse pour prendre en compte les besoins des populations roms. En ferait-on le choix politique qu'il ne serrait pas compris. Et que dire du débat sur l'appel d'air ? Bref, c'est un cercle vicieux. Très majoritairement les français sont d'autant plus crispés sinon hostiles à l'égard des familles roms qu'ils sont appelés collectivement à de gros efforts financiers pour redresser le pays.
Il va donc être très difficile de tenir la voie de la raison. Très vite, comme hier sur la Chaîne parlementaire, on vire à l'invective, personne n'écoutant personne.
Pourtant il va bien falloir trouver une réponse avec déjà ce constat que font ceux qui connaissent le sujet : environ 30 000 roms en France pour quelques centaines de milliers en Italie ou en Espagne où on frôle le million. Nous parlons ici essentiellement en terme d'expulsion et de retour en Roumanie ou Bulgarie; nos voisins font le constat qu'à l' échelle du problème qui leur est posé ces populations resteront qu'ils le veuillent ou pas. Dès lors ils essaient de travailler sur les politiques qui s'imposent dans l'intéret général
Je n'ai pas bien sûr la réponse , mais si on pouvait réfléchir et quitter l'invective, s'inscrire dans l'histoire et dans la durée, plus que jamais avoir une démarche concertée avec les Etats membres de l'U.E. et l'U.E. elle-même par l'Europe est un tout, les roms sont des européens, on progresserait certainement.
Chacun peut avoir sa martingale gagnante : je crois en l'école. La stratégie par et pour les enfants peut être payante à terme. A nous de convaincre les parents de scolariser leurs enfants , et pas jusqu'à 12 ans, et de laisser les familles qui le veulent se poser dans des lieux et avec des garanties à débatte avec leurs représentants. Cela suppose déjà de respecter les instructions gouvernementales données en 2012 en cas de démantèlement d'un camp jugé dangereux ou illégal. Ces instructions de l'actuel gouvernement aujourd'hui sont trop souvent foulées des pieds au quotidien.
Dans ce contexte j'ai retrouvé un post de septembre 2010 écrit après les incidents de Saint-Aignan. A la relecture il me parait d'une cruelle actualité. Je crois donc devoir le resservir car je n'y changerai pas un mot aujourd'hui.
"Penser aux enfants Roms et à leurs futurs enfants : comment rompre la chaîne ?
septembre 2010 (post 336)
En instrumentalisant cet été le grave incident de Saint-Aignan, en pointant du doigt la communauté rom et en expulsant vers la Roumanie ou la Bulgarie ceux qui lui tombaient entre les mains, le gouvernement a pris - consciemment ou non – un risque majeur.Certes il s’est attiré les foudres de ses opposants qui ont pu d’autant plus aisément dénoncer la grossière manœuvre politique engagée sur le thème de la sécurité que tous les journaux avaient dès le début de l’été annoncé la démarche adoptée pour détourner l’attention de l’affaire Woerth-Bettancourt et préparer les termes d’une rentrée chaude.
Fustiger les parents des enfants délinquants et mettre en cause les jeunes en général et les enfants en particulier passe encore ; pointer une communauté, raser des cabanes ou détruire des caravanes, embarquer hommes, femmes et enfants dans des avions en prétextant leur accord, revenait à pousser fort loin le bouchon. Tellement loin que les instances internationales devaient réagir médiatisation de l’information oblige : elles n’ont pas manqué de le faire quitte à caricaturer, pas mécontentes de se faire les dents sur la patrie autoproclamée des droits de l’Homme toujours prête à donner des leçons aux autres Etats. L’Eglise elle-même s’y mise sautant sur l’occasion pour se redonner une bonne image.
Certes cette politique a pu séduire une partie de l’électorat, passé ou à venir, de la majorité, mais au sein de cette même majorité, des grandes consciences, notamment trois anciens premiers ministres, - excusez du peu - ont exprimé leur condamnation parfois avec une virulence jamais vue. On est loin du trouble exprimé par Laurent Fabius, alors premier ministre, lors de la visite du général polonais Jaruzelski chez le président François Mitterrand.
Le premier ministre actuel devait lui-même prendre avec mille précautions oratoires ses distances avec la stratégie menée par l’Elysée et l’Intérieur.
Bref, la sensibilité sociale de l’actuelle majorité n’adhère pas au procès fait aux Roms et à la stratégie qui s’en suit. Il n’est pas dit que la brisure ne soit pas profonde à partir de ce sujet.
En tous cas, face à un problème plus que séculaire, sur un dossier à portée internationale, avec tant de dimension à prendre en compte, les pouvoirs publics ont joué aux apprentis sorciers oubliant les leçons de l’histoire, notamment les plus mauvaises heures de l’Europe du 20° siècle.
Objectivement la vague de fond d’une très grande violence qui a été déclenchée est en train de prendre toute sa vigueur et nul ne sait jusqu’où ira le ressac ! Le prix pourra être très lourd à payer en souhaitant qu’il n’entraîne pas d’actes racistes comme en Pologne avec des morts à la clé.
Les roms roumains essentiellement et bulgares sont visés, mais c’est tout le groupe des gens du voyage qui directement ou indirectement a pâti de ce qui s’est joué. Aujourd’hui on essaye bien d’introduire un distinguo entre les gens du voyage bien de chez nous et français et les roms, sinon les roumains.
Reste que bien plusieurs milliers de roms roumains, bulgares ou de l’ex-yougoslavie vivent dans des conditions quasi moyenâgeuses à quelques encablures de chez nous. Au beau milieu de ce maelstrom, des enfants qui vivent le plus souvent dans des conditions effroyables. Le fait n’est pas d’aujourd’hui et il est difficile de prétendre le découvrir. Il est régulièrement montré aux journaux de 20 heures à l’occasion de reportages sur tel ou tel démantèlement de camps. On l’a généralement toléré au nom de l’idée qu’on ne peut rien faire contre. Qu’à tout le moins les distances soient gardées. On frise l’hypocrisie et la mauvaise foi.
Quotidiennement, malgré la difficulté de l’exercice, des mains leur sont tendues par des associations, mais aussi par des municipalités, des administrations d’Etat, par des travailleurs sociaux ou encore des enseignants. Ainsi Médecins du Monde fait un travail extraordinaire en Seine Saint-Denis. Tous, par-delà leur engagement, ont l’impression d’un puits sans fond, d’un problème insoluble qui les dépasse par sa complexité et ses pesanteurs, ses représentations et ses blocages..
En tout cas, force est de constater que la plupart des enfants de ce monde rom ne sont pas scolarisés. Ils ne sauront jamais ni lire ni écrire et souffrent déjà de ce fait d’un handicap majeur. Nombre sont utilisés pour mendier seuls ou en accompagnant des adultes et, bien sûr, il ne faut pas le nier, nombre de jeunes personnes, parfois tentant de se faire passer pour mineures, parfois de très jeunes enfants, sont dans la délinquance depuis le vol de portefeuille ou de sac dans les transports en commun jusqu’aux cambriolages. Une nouvelle fois il faut dire qu’il existe une industrie du vol dont les enfants sont les petites mains manipulées par des adultes, leurs parents ou d’autres. La police, mais aussi la presse ont de longue date mis en exergue tout cela dans des enquêtes ou des reportages.
J’ai notamment en tète deux document datés des années 80.
L’un est un reportage-photos fait par la Préfecture de Police de Paris montrant des enfants emmenés le matin depuis les boulevards périphériques ou étaient à l’époque stationnées voitures et caravanes pour aller visiter des pavillons de banlieue, pour être repris par une voiture, aller déposer l’argent pris dans des livres chez Gibert Jeune, argent récupéré par des adultes pendant que les enfants revenaient sur les Extérieurs. A l’époque, les policiers chiffraient à 5000 francs (700 euros) le rapport journalier de chaque enfant et l’on évaluait à 300 le nombre d’enfants mobilisés en région parisienne.
L’autre document est un film de fiction-réalité, très poignant, restituant l’histoire d’un journaliste enquêtant sur le sujet en Italie avant d’être assassiné pour ce qu’il avait découvert. Il met en évidence comment des enfants étaient littéralement vendus part leurs parents kosovars pour être formés dans des écoles du vol en Italie et envoyés travailler en Hollande, Belgique ou France au bénéfice d’un réseau.
Ici comme ailleurs, nier la vérité au nom de l’angélisme ou pour excuser la lutte contre la pauvreté, le racisme ou l’exclusion ne sert à rien.
Pour autant tous les Roms ne sont pas des voleurs ; nombre sont très insérés, parfois comme ceux que j’ai croisés en Roumanie, hauts fonctionnaires
C’est l’absence de scolarisation des enfants qui les condamne généralement à s’inscrire dans cette démarche délictuelle du moins un certain temps, avant d’être « trop vieux », moins habiles ou opérationnels et surtout de prendre le risque d’une répression implacable.
Car ces jeunes se font régulièrement interpeller Ils tentent, souvent avec succès d’échapper aux foudres judicaires en jouant sur leur âge, sur leur identité mal établie et surtout sur les points faibles de notre dispositif législatif face à des pratiques de cette nature. On n’incarcère pas avant 13 ans, la détention provisoire à juste titre a été resserrée, nous avons quelques scrupules à l’incarcération des enfants, nous essayons d’être dans une démarche éducative, etc.
Il n’y a pas un travailleur social, un procureur ou un juge qui n’ait un jour, et parfois le lendemain, tenté la démarche de faire accueillir ces jeunes par une structure éducative, recherché une école plus ou moins officielle. Nous jetons très loin le fil pour accrocher tel ou tel. Régulièrement nous avons bon espoir ; la vérité veut de dire que nous échouons. La déception est forte à chaque fois. La force de la communauté l’emporte sur la dynamique que nous tentons de créer. Le jeune ou la jeune fille ne se sent pas capable, même si il ou elle est sincère, quand il ou elle souhaite prendre la maitrise de sa vie car cela implique de rompre avec les siens. Un choix leur est proposé trop lourd a assumer si ce jeune décide de vivre autre chose que ce qui est proposé.
Quand la famille est déjà lointaine, nous avons de meilleurs résultats et nous arrivons à soustraire des enfants roms ou non des vols dans les parcmètres ou de la prostitution.
Je rassure le lecteur : foin d’angélisme, nous appliquons aussi les termes répressifs de la loi : sur toute présentation au juge de permanence une date est donnée au jeune où il sera jugé et une peine sera prononcée avec exécution provisoire qui lui vaudra incarcération dès la première interpellation. Nous manions la détention provisoire quand elle est possible avec le souci de faire pression sur le commerce du vol en l’insécurisant. Objectif limité mais obligé ! Certains se saisissent de l’opportunité que nous leur offrons – scolarisation contre non incarcération -– et tout le monde y trouve son compte - Mais si peu !
A mon avis nous échouerons encore et encore à apporter une réponse aux racines du problème tant que nos sociétés ne permettront pas aux membres de cette communauté, notamment aux enfants d’aujourd’hui et de demain, de vivre en ayant plusieurs cultures, de suivre leur route sans rompre avec leurs valeurs, de vivre un métissage. Pour le coup d’évidence la responsabilité de la communauté rom est non négligeable. Certains se sont sédentarisés ici comme ailleurs ; beaucoup n‘imaginent pas de l’être : leur liberté c’est de pouvoir s’installer où ils veulent. Mais qui dit qu’ils doivent se sédentariser ?
Nul n’ignore qu’en pratique il sera extraordinairement difficile d’atteindre de convaincre nombre de familles roms de scolariser leurs enfants en se posant ou pas à tel endroit, mais il faut encore réunir les conditions de la scolarisation (des aires, des écoles ou des enseignants détachés, etc.).
Le pari est certes plus dur à gagner qu’en 1882 où il a fallu l’armée pour permettre la scolarisation, quand la loi rendait la scolarisation obligatoire pour tous les enfants de France.
Il va falloir travailler avec les responsables de la communauté rom – il y en a et en 1984 nous avons travaillé avec eux – pour mettre en place des plans sur le long terme pour permettre aux roms de vivre leur vie de rom dans le respect des règles d’ordre public de nos pays. La scolarisation est une.
Au lieu de cela on a exacerbé la défiance.
Les enfants trinquent. Ils sont discriminés, ils sont maltraités, ils sont mal soignés, ils ne sont pas scolarisés ; ils n’ont pas d’autres espoir que d’avoir des enfants qui eux-mêmes vivront ce qu’ils vivent.
Le rôle des pouvoirs publics n’est-il pas de faire leur place dans la société aux plus fragiles ?
Bien évidemment le problème n’est pas franco-roumain. Sa dimension transnationale implique tous les européens mais pas en jouant à la patate chaude. Ici et à l’Est de l’Europe nous sommes condamnés à une politique visant à insertion quand nous en restons à l’exclusion ou au confinement. Qui peut miser un seul centime d’euro sur le fait que des rom renvoyés en Roumanie vont y rester ? On peut faire du retour un délit, mais rien ne sera réglé. L’exercice à ses limites y compris politiques.
Espérons qu’on saura réparé le mal causé cet été en mettant sur pied un plan qui s’inscrive dans la durée et soit fondé sur la confiance et un engagement sincère."
Fin du rappel.
A ne pas traiter un problème il vous revient encore plus fortement