Une Lolita française
Justice au singulier - philippe.bilger, 27/11/2012
A Marseille, pour tourner et animer une série sur dix affaires criminelles où j'ai été l'avocat général, sans me sentir éloigné de l'effervescence politique et médiatique au quotidien, je suis tout de même un tantinet désaccordé d'avec l'excitation intensément renouvelée du conflit entre Jean-François Copé et François Fillon avec le bon apôtre Nicolas Sarkozy comme conciliateur. Cette configuration est assez comique quand on sait que le premier, qui avait le soutien implicite mais clair du dernier, a tout "manigancé" avec succès pour berner le deuxième depuis le 16 mai (nouvelobs.com).
Cette dispute qui n'en finit pas n'a pas chassé de mon esprit, sans doute par contagion avec les occupations télévisuelles qui sont les miennes actuellement, l'histoire tellement singulière, dont la presse a peu parlé, et qui a conduit un professeur d'un certain âge à se laisser séduire par une gamine de 14 ans et à avoir avec elle une dizaine de relations intimes.
J'ai immédiatement songé, en lisant l'article qui était consacré à ce "détournement de mineure", au fabuleux livre de Vladimir Nabokov (Le Parisien). Parce que tout simplement Lolita est venue s'inscrire dans notre imaginaire collectif et a posé sa marque sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à l'irruption d'une toute prime jeunesse dans une vie largement adulte.
Je reconnais être anormalement fasciné, pour le pire ou le meilleur, par ce moment où des existences dérivent, basculent, où le désordre amoureux incompréhensible vient abolir les frontières et les limites. Où l'âge n'a plus la moindre importance devant le saisissement d'un être, d'un corps pourtant pas nés d'hier devant ceux nés hier. Miracle, surprise, indécence, indignité, scandale ? Mais condamnation justifiée.
Ce professeur, qui s'était d'abord penché sur le travail et les progrès à accomplir par cette très jeune élève ne pensait pas à autre chose qu'à son devoir et à son enseignement même quand au fil des semaines cette relation amicale, chaleureuse, a transformé la dépendance du savoir en un lien de pouvoir où le maître devenait l'assujetti.
Un jour elle s'est présentée chez lui, à son domicile, sans y avoir été invitée. Ses défenses à lui ont lâché.
Ce qui m'a plu dans sa défaite est qu'il l'a analysée, assumée sereinement, lucidement, tristement. Il n'a pas commis un autre détournement : celui de sa responsabilité. Nul triomphe provocant, nulle théorisation discutable mais un constat de ce qu'il a accompli et qu'il n'aurait pas dû faire. Comme s'il y avait des forces, un ouragan de vie précoce, une fraîcheur capables de déstabiliser même la plus solide des personnes, le plus assuré des hommes.
Cette fragilité inscrite au coeur de virilités incontestables et de comportements prétendus inattaquables me touche, m'émeut, m'intrigue et m'alerte.
Cette Lolita française, je ne sais pas ce qu'elle est devenue.
Mais lui s'en souviendra.