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Les vicelards distingués

Justice au singulier - philippe.bilger, 3/10/2013

Les vicelards distingués font du mal à tous les arts.

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Le sexe ne se cache plus : cinéma, livres, expositions (Le Parisien)...

Ce constat est indiscutable. La nudité est ostensiblement présentée, mise à toutes les sauces publicitaires et destinée souvent à sauver certaines oeuvres de la médiocrité par une salacité qui ne convainc que le voyeur. Il y a des salles qui finissent par avoir tout des salles spécialisées. Pourquoi pas ? Mais on ne devrait pas confondre.

Ce qui me semble pathologique est l'amplification de cette audace aujourd'hui confortable qui conduit l'art ou ce qui s'affiche comme tel à nous infliger une représentation pointilliste et exhaustive de la réalité physique, notamment au cinéma. Le personnage sera-t-il mieux appréhendé par le spectateur parce qu'il aura vu les fesses de l'acteur ou l'anatomie de l'actrice, l'un et l'autre, quelquefois, urinant de surcroît ?

Une corrélation directe et limpide existe entre cette invasion de la nature dans son plus simple appareil et souvent la pauvreté du fond, l'infirmité des scénarios et la provocation gratuite. Le nu cache l'insuffisance du cinéaste et de son imagination et cherche à nous faire accroire qu'il y a dans ces chairs complaisamment filmées une leçon, un enseignement, une transgression.

Ces pseudo-créateurs se rincent l'oeil bien plus que l'esprit et espèrent des trésors d'indulgence de la part d'un public qui devrait être au moins conquis par la grâce des corps à défaut de l'être par l'intelligence et la sensibilité des situations.

Je ne considère pas comme un progrès, bien au contraire, l'hypertrophie des vulgarités, la crudité lassante des séquences et le saisissement qui s'empare de tout cinéphile averti et non snob quand surgissent sur l'écran, à n'importe quel moment et sans l'ombre d'une justification, des personnages dépouillés de tout vêtement, faisant l'amour avec une exaltation pédagogique pour nous faire bien mesurer à quel point nous sommes confrontés à de l'inouï !

La déplorable régression d'un art ayant délaissé la suggestion, ou plutôt que la finesse, la délicatesse, la litote du fond et de la forme, l'infinie explosivité d'une retenue de qualité ont abandonné. Parce qu'on ne sait plus montrer, on démontre, qu'on ne sait plus voiler, on dévoile, qu'on ne sait plus évoquer, on tambourine et on proclame. Les corps ne sont plus une promesse mais exploités comme un capital.

Qu'on ne soutienne pas que le sexe, le cru et le nu seraient littéralement exigés par les développements d'un récit quand des génies du cinéma ont précisément et magnifiquement usé de la rétention et de la pudeur, des glissements imperceptibles et du bonheur irradiant des visages pour exprimer ce que nos petits maîtres d'aujourd'hui éprouvent le besoin d'épeler image après image, inutilité après indécence. Quel metteur en scène de bonne foi oserait soutenir que cette nudité systématiquement mise au premier plan, comme une caricature de l'humain, ne pourrait pas être remplacée par une représentation à la fois plus artistique et plus porteuse de sens ?

Bien sûr, ces faiseurs présents dans tous les arts mais dévastateurs au cinéma plus qu'ailleurs ne sont pas seuls responsables. Je me souviens de certaines biographies ou autobiographies d'illustres actrices : comme, sans pourtant aucune pudibonderie, il leur semblait inconcevable de se dévêtir pour rien et de faire don aux spectateurs de ce qui était la part la moins signifiante de leur tempérament d'actrice ! Le metteur en scène d'alors se heurtait à des comédiennes qui avaient suffisamment de force et de caractère pour s'opposer au vain et à l'exhibition.

Aujourd'hui, de Charlotte Gainsbourg à Léa Seydoux, on a l'impression que non seulement les actrices ne sont pas gênées de ne rien dissimuler de leur apparence mais qu'elles sont fières de cet exercice car elles se mettraient en danger, seraient plus proches de la vérité et de la nature, seraient plus elles-mêmes... Le moindre des cinéastes n'a aucun mal à les convaincre de l'infinie et subversive audace de leur nudité, leur poitrine portant un message et leur corps une idéologie. Comment résister à ces hommages pervers ? Le snobisme, l'ignorance et l'inculture font des ravages et les distingués vicelards trouveront toujours des oreilles et des béates pour les écouter.

Les critiques professionnels ne sont pas en reste qui, à quelques exceptions près, confondent le scabreux avec le talent, l'obscurité avec la complexité, l'ennui avec la profondeur et le débile avec le drôle. Surtout, l'incongru et le scandaleux avec l'originalité et l'invention.

On a ainsi ce paradoxe d'une dénaturation de ce qu'il peut y avoir d'élevé dans les créations de l'esprit, précisément à proportion de l'irruption sans cesse favorisée de la nature brute et sans apprêt dans le champ du songe, des rêves et, pour les génies, de l'universel.

Le cinéma français se perd non seulement à cause de ces réalisateurs qui se croient scénaristes alors qu'ils sont si peu les premiers et pas du tout les seconds mais surtout parce que l'intrusion permanente de la salacité et de la crudité finit par lasser le spectateur même le plus complaisant. Ce n'est pas lui ni son prétendu puritanisme qu'il convient d'incriminer. La beauté des corps n'est pas en cause ni l'allégresse qui résulte de leur union. Mais pas n'importe où, n'importe quand, à propos de n'importe quoi. L'artistique occulte de plus en plus mal les appétences et curiosités troubles qu'il favorise. Les mauvaises pensées ne font pas forcément de grandes oeuvres.

Les vicelards distingués font du mal à tous les arts.


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