Affaire Agnès Le Roux : les mystères vieillissent aussi
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 18/03/2014
On regarde ces cinq femmes et ces quatre hommes arrachés à leur vie quotidienne par le tirage au sort qui les a désignés pour siéger comme jurés au procès de Maurice Agnelet devant la cour d'assises de Rennes (Ille-et-Vilaine), et l'on s'interroge. A quoi peuvent-ils penser, en voyant entrer dans le prétoire un accusé âgé de 76 ans au corps amaigri, au teint cireux et au visage mangé par une barbe blanche, qui comparaît pour la troisième fois sous l'accusation de l'assassinat d'Agnès Le Roux, l'une des héritières du Palais de la Méditerranée, à Nice, disparue il y a trente-sept ans au volant de sa voiture et dont le corps n’a jamais été retrouvé ?
L’affaire était déjà très ancienne lorsque l’accusé a comparu devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes à Nice en décembre 2006, mais elle entrait passionnément en résonance avec l'histoire de la ville. Maurice Agnelet a été acquitté. La fièvre n'était que partiellement retombée lors du deuxième procès en octobre 2007, à Aix-en-Provence. Il a été jugé coupable d’assassinat et condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Sept ans plus tard, à l'autre bout de la France, si loin de la Méditerranée, de Monaco et des casinos niçois, que reste-t-il de tout cela ?
Renée Le Roux, la mère d'Agnès, statue du commandeur de ce dossier qu'elle a porté pendant trente ans contre les risques d'enfouissement judiciaire, a dû jeter l’éponge. A 92 ans, elle est trop fatiguée pour assister aux débats. A l’appel des témoins, plusieurs sont défaillants. Malades, âgés ou lassés de devoir une fois de plus évoquer de trop lointains souvenirs.
De ce procès, seul reste celui de la justice, soutient Me François Saint-Pierre, l'avocat de Maurice Agnelet, qui a obtenu la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme au motif que son client n'avait pas bénéficié d’un procès équitable. Sans cadavre, sans réponse sur le « quand, comment et où ? », Agnès Le Roux a disparu, « le procès est impossible », assène-t-il. « Si l'on suivait cet argument, on n'aurait jamais jugé Landru », lui a répliqué l’avocat général Philippe Petitprez. Les deux sœurs et le frère d'Agnès Le Roux, assis au banc des parties civiles, sont comme lui convaincus que les preuves de la culpabilité de Maurice Agnelet sont dans le dossier. Mais ils savent que le principal danger vient des jurés eux-mêmes. De leur possible indifférence, de leurs compréhensibles réticences à s'approprier à leur tour une histoire qui en a usé tant d’autres. C'est à eux que leur avocat, Me Hervé Temime, s'est adressé : « Cette famille veut la vérité et la justice. Si vous considérez que vous n’avez pas la preuve, si vous avez un doute, vous acquitterez. Mais le bénéfice du doute n’est pas le bénéfice du cynisme. »
Le président de la cour, Philippe Dary, ouvre la première page de son rapport. « A partir du 27 octobre 1977, plus personne n'a eu de contact avec Agnès Le Roux, une jeune femme de 27 ans, qui avait prévu, selon plusieurs témoins, de passer le week-end avec son amant, Maurice Agnelet… » Cinq femmes et quatre hommes, dont certains n'étaient pas nés au moment des faits qu'ils vont devoir examiner, commencent à prendre des notes.
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