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Victoire par KO ou défaite aux points ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/12/2019

Tout est possible. J'allais écrire : même le meilleur. Mais je n'y crois plus. C'est le pays qui, dans ce combat, en 2022 jettera l'éponge et tranchera. Une boxe démocratique qui aura ainsi son issue.

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Qui va gagner ? Le pouvoir ou les syndicats ?

Le premier veut l'emporter aux points et les seconds par KO.

On est obligé de penser que ceux-ci n'ont plus qu'une seule envie : envoyer ce gouvernement à la retraite.

Il faut reconnaître que, comme l'a dénoncé Xavier Bertrand et comme semble l'avoir dit Nicolas Sarkozy à des proches alors qu'il aime beaucoup Emmanuel Macron, la gestion de ce dossier des retraites a été mauvaise, voire "catastrophique" (L'Express).

Si je ne suis pas assez compétent pour discuter de l'ensemble des questions qui en amont ont été traitées et débattues, je peux cependant comme citoyen, à l'unisson de beaucoup, avoir déploré la cacophonie qui a rendu une réforme déjà difficilement compréhensible malgré les apparences, un rébus absolu.

Entre Jean-Paul Delevoye qui a commencé encensé puis qui a mal terminé, le président de la République,le Premier ministre, Gérald Darmanin ou Agnès Buzyn très discrète, on ne peut pas soutenir que les violons aient été accordés. Chacun voulait démontrer que l'autre n'avait rien compris. Aussi n'y avait-il aucune raison pour que la société soit plus au fait que le pouvoir lui-même. L'indécision de l'un appelait le doute de l'autre.

On attendait mais on n'espérait pas. La CGT était hostile au système par points, aspirait à se redorer le blason syndical et consentait à dialoguer si on partait de l'existant en l'améliorant, selon elle, pour tous. Autant dire qu'il convenait de lui donner totalement raison, ce qui est devenu la caricature des négociations syndicales ou, auparavant, des liens avec les Gilets jaunes. Le Tout ou Rien : on réclame discussions et consultations mais à condition qu'elles consacrent seulement la cause qu'on défend.

Journée d'action massive du 5 décembre.

Celle du 10 décembre a mobilisé moitié moins à Paris et en province mais les incommodités pour les non grévistes ont été énormes.

Le Premier ministre, dans son discours du 11 décembre, a donné les explications qu'il avait promises. Pour un amateur comme moi, il a semblé que l'articulation entre le projet initialement prévu (selon Jean-Paul Delevoye) et les aménagements à apporter pour répondre aux attentes et aux craintes légitimes, était cohérente et qu'au moins superficiellement elle permettait à un syndicalisme de bonne foi de s'en accommoder.

Sauf à vouloir une victoire par KO contre ce pouvoir.

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Alors que ce dernier, avec la présentation faite par le Premier ministre, avait mis en place pour les opposants une défaite aux points mais qui n'humiliait pas puisque l'architecture principale conservée s'était enrichie de modifications, d'infléchissements et de délais qui tenaient compte de la spécificité de certains régimes.

L'universel était sauf et, pour le reste, la transition proposée par le gouvernement était longue - la génération née en 1975 serait concernée -, le rôle des partenaires sociaux garanti, de même que l'intangibilité du point muée en règle d'or, avec un progrès sensible pour les femmes mères de famille et les pensions de réversion et, enfin, le fait qu'aucune retraite ne serait inférieure à 1 000 euros.

Dérisoire, dangereux, injuste tout cela ?

Certes il y avait la diminution des critères de pénibilité. Seulement six avec l'exclusion étrange du travail de nuit. Et les carrières qui seraient prises en compte dans leur ensemble.

Le pire politique est survenu.

La CFDT furieuse à cause de l'évocation d'un âge pivot pour obtenir une retraite à taux plein - paramètre quantitatif qui était une ligne rouge - a décidé de participer à la manifestation du 17 décembre. On avait sous-estimé la résolution de Laurent Berger à force de répéter bêtement qu'il mangeait dans la main du gouvernement ! L'UNSA et la CFTC seront aussi de la partie.

Que va faire le pouvoir, étonné comme s'il avait subi une trahison ?

Nous arrivons lentement mais sûrement à ce point qui constitue une évolution classique des conflits sociaux. D'abord un soutien majoritaire de la population - on est prêt à se battre jusqu'au dernier syndicaliste ! - puis une exaspération contre les grévistes - RATP et SNCF - qui bloquent abusivement un pays, enfin, je crains qu'on y soit, le reproche virulent fait au gouvernement de ne pas céder.

La « galère » va donc continuer mais peut-on imaginer un gouvernement poussé si loin dans ses retranchements qu'il puisse reculer sur un point qui lui semble essentiel ?

La France a un passé. Il me paraît que le président avait vu juste quand avec beaucoup de retard il avait dit que la crise des Gilets jaunes n'était pas derrière mais devant nous, que notre pays allait en être durablement et profondément affecté. Dans la rigidité syndicale et l'opposition apparemment plus classique de corporations défendant leur pré carré et angoissées pour demain, dans la fronde durable de la rue, j'ai l'impression qu'il s'agit de la continuation, par d'autres processus, de la révolte des Gilets jaunes. Ceux sur lesquels s'exerce le pouvoir - le peuple - s'en prennent à ceux qui l'exercent -les élites - selon la définition redoutablement efficace de Michel Onfray qui vient de publier un indiscutable grand livre : "Grandeur du petit peuple".

Tout est possible. J'allais écrire : même le meilleur. Mais je n'y crois plus.

C'est le pays qui dans ce combat, en 2022, jettera l'éponge et tranchera. Une boxe démocratique qui aura ainsi son issue.


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