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Houellebecq et Zemmour : même combat ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/01/2015

Tourner les pages de ces livres, c'est voter, c'est choisir, c'est élire, c'est exclure.

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J'ai lu et relu Le Suicide Français.

Je n'ai pas encore lu Soumission mais j'en sais déjà beaucoup sur ce roman. On ne parle que de lui, ces derniers jours, peu dans les pages culturelles mais beaucoup dans les rubriques politique et sociale. Michel Houellebecq lui-même éclaire son oeuvre et d'une manière qui me semble parfaitement compréhensible par tous (lefigaro.fr).

Il y a des livres qui sont plus grands qu'eux-mêmes. Le triomphe de celui de Zemmour et la réussite évidemment éclatante qui sera celle de Houellebecq - un premier tirage à 150000 exemplaires ! - permettent de s'interroger, sans faire offense à leur auteur, sur les motifs profonds d'un tel succès qui a dépassé et dépassera la qualité intrinsèque des ouvrages.

Il y a des livres qui sont plus petits qu'eux-mêmes. Celui de Valérie Trierweiler dont, comble du vulgaire exploité jusqu'à la corde, on va sans doute faire un film -après 2017 tout de même - appartient à cette catégorie dont il est facile d'expliquer le retentissement. Selon "un hollandais historique", "c'est un puits sans fond. Elle n'aura jamais assez d'argent, jamais assez de reconnaissance". Le voyeurisme et l'exhibition, offerts prétendument sur un plat politique pour donner bonne conscience, sont évidemment des ingrédients royaux dans notre société d'aujourd'hui (Le Parisien).

Pour l'essai de Zemmour et le roman de Houellebecq, rien, aucune critique, ne détournera jamais quiconque de les lire.

Pour le premier, l'adhésion forte et la détestation d'une minorité se sont conjuguées pour le porter au zénith.

Pour le second, ce n'est pas le regard partisan de Laurent Joffrin, qui voit en lui Marine Le Pen et le FN incarnés, qui dissuadera, bien au contraire, de s'y projeter avec impatience (Libération). Pourquoi, d'emblée, tant de haine contre cette oeuvre ? L'auteur trop singulier, trop provocateur, aux antipodes d'un sérail littéraire qui se coopte pour les compliments (JDD) ?

Même Eric Naulleau, dont j'apprécie en général le jugement et qui n'apprécie pas ce roman, ne me convaincra pas de m'abstenir. Encore moins Ali Baddou qui aurait eu, paraît-il, envie de "gerber" à cette lecture : ce n'est plus de la critique littéraire mais de la critique gastronomique !

Pourquoi, cependant, alors que le genre est différent, mettre ensemble Houellebecq et Zemmour ?

Parce que d'abord, leur registre est le même sur le plan de la temporalité. En effet, même si l'un régresse et l'autre anticipe, il y a là une même fuite du présent qui conduit Zemmour à chercher notre vérité dans le passé et Houellebecq à nous proposer sa vision française pour le futur. L'envers et l'avers d'un identique exil.

Ensuite, abandonnant les sujets politiques classiques, traditionnels, ils s'attaquent aux profondeurs de notre société en révélant, sur un mode polémique, sarcastique, ou "avec humour, en les prenant au sérieux", comme l'affirme Houellebecq, ses tendances, ses risques ou ses dérives. En poussant jusqu'à leur extrême limite le refus d'un présent honni ou l'avenir d'un présent grossi. Dans l'angoisse nostalgique de l'un comme dans l'imagination paroxystique de l'autre, sont brassées les obsessions d'un pays qui se moque des jeux partisans mais a peur dans son être même. Pour aujourd'hui et pour demain.

Par ailleurs, dans ces deux livres - si on suit le point de vue de Michel Houellebecq lui-même sur le sien -, il y a le constat "qu'on peut faire davantage confiance à l'intelligence de la masse qu'à celle des élites". La masse est inquiète quand les élites se moquent de son inquiétude. L'essentiel, pour les élites, est ce qui vient au second plan pour le peuple trop occupé avec sa survie au quotidien.

Enfin, Houellebecq souligne "qu'il pose des questions auxquelles la gauche ne peut pas répondre. La droite non plus d'ailleurs".

Cette imprévisibilité et cette inventivité sont-elles si éloignées de cette conception atypique d'une droite qui serait à la fois sociale et républicaine, mâtinée d'un gaullisme viscéral et d'un souverainisme affiché ?

Quelque chose qui ne ressemble à rien de connu, pas davantage que l'anticipation fulgurante d'un Houellebecq, ainsi résumée :" Qu'est-ce qu'ils peuvent voter, les musulmans de France ? Ils ne peuvent pas voter pour des socialistes qui mettent en place le mariage homosexuel. Ils ne vont quand même pas voter non plus pour des gens de droite qui veulent les virer. La seule solution serait effectivement la constitution d'un parti musulman".

La solidarité fondamentale qui unit ces deux livres, ces deux pensées, ces deux visions, cet appel au secours et cette utopie troublante tient à ce que Zemmour et Houellebecq ont pris aujourd'hui, clairement, la place des politiques. La politique vraie, authentique, dure à cause des interrogations qu'elle n'hésite pas à formuler, lucide avec la rudesse de ses constats, plébiscitée par une multitude de citoyens-lecteurs, elle se trouve au coeur de ces ouvrages.

En tourner les pages, c'est voter, c'est choisir, c'est élire, c'est exclure.


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