Mea culpa certes mais pas trop !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/06/2019
Le président de la République a fait, dans un discours devant l'OIT à Genève, son "mea culpa" sur la manière dont il a géré la crise des Gilets jaunes, qui, selon son étrange expression, a "traversé" la France durant plusieurs mois (CNews).
En tout cas la pensée médiatique dominante a analysé ainsi sa vague repentance sur les GJ, qu'il n'a d'ailleurs pas nommés. On est si peu habitué à des contritions de la part de nos chefs de l'Etat, et encore moins de la sienne, que la moindre esquisse de regret semble relever de l'exploit démocratique (Le Figaro).
Comme pour le résultat des élections européennes, il a en réalité fait passer pour une victoire ce qui a profondément atteint son prestige et aussi le crédit de la France à l'étranger. Adepte à l'évidence de la théorisation sur l'échec, il a incarné à la perfection l'attitude conforme à ce précepte qui veut que "dépassé par les événements, on a pris le parti de les administrer".
Mais, au-delà de ce tour brillant de passe-passe, Emmanuel Macron a énoncé des considérations sur le fond, qui révèlent que son intelligence et sa lucidité connaissent parfois des ratés.
Etait-il absolument nécessaire au pouvoir de se confronter à cette formidable et préjudiciable effervescence pour comprendre l'intolérable hiatus entre les "sachants et les subissants" ? Avait-il besoin de cette "leçon de choses" et de ces "travaux pratiques" pour percevoir cette intolérable blessure au coeur d'une démocratie se rêvant pourtant exemplaire : il y a ceux qui dominent et ont le pouvoir et ceux sur lesquels il pèse, pour reprendre la définition éclairante du peuple par Michel Onfray.
Cette conscience, elle aurait dû être tellement consubstantielle à un exercice responsable du pouvoir que la relever serait d'une totale banalité républicaine.
Plus gravement, quand le président de la République n'incrimine que sa méthode pour continuer à se féliciter, en quelque sorte in abstracto, des "bonnes réponses" qui avaient été proposées, il feint d'oublier que la perversion de sa pratique politique et de celle du gouvernement se trouve précisément là. Si la concertation avait eu lieu, si les solutions avaient été élaborées en partant du terrain et avec celui-ci, adaptées et ajustées "au plus proche de nos concitoyens", si on avait pris la peine d'introduire, dans l'autarcie du pouvoir et la création technocratique, les citoyens, la France des territoires, la multitude des oubliés de la périphérie, les "bonnes réponses" auraient volé en éclats.
Et le changement de méthode aurait évidemment engendré sinon un changement de politique, du moins une manière plus proche, moins condescendante, partagée, modeste, acceptable, de la présenter à la communauté nationale.
Probablement n'est-ce pas trop s'aventurer que de soutenir qu'en l'occurrence l'art de gouverner résidait tout entier dans le processus et les modalités et que ceux-ci exemplaires auraient sans doute suscité une validation générale, fond et forme mêlés.
Je regrette pour ma part - sur un registre démocratique élargi - qu'on ne soit pas allé plus loin que vers un allégement (au demeurant vite corseté) du RIP car à force de n'avoir jamais consulté le peuple sur des enjeux fondamentaux, on va finir par oublier que le référendum n'est pas seulement un ornement destiné à faire joli dans la vitrine républicaine mais qu'il devrait être un formidable outil aussi bien humain que politique pour rassembler "sachants" et "subissants". En faveur d'une France unie.