Nobel de l’hypocrisie : La Turquie est redevenue la grande amie de l’Union européenne
Actualités du droit - Gilles Devers, 1/12/2015
La semaine dernière, Erdogan était le redoutable sultan, embarquant son pays vers la dictature musulmane, un type pas fréquentable qui zigouillait la « coalition unique » rêvée par Hollande en descendant le chasseur russe, ce qui permettait de tartiner sur le thème de l’ambiguïté face à Daech. Une semaine plus tard, la Turquie est redevenue la grande amie de l’Union européenne, et Ahmet Davutoglu était dimanche soir rayonnant à Bruxelles, après le succès de sa rencontre avec les 28 chefs d'État européens, réunis pour un sommet en son honneur. Le dernier sommet de ce type date de onze ans….
Dans un premier temps, j’ai cru que c’était pour féliciter la bonne tenue démocratique de la Turquie face à l’épreuve : 800 kilomètres des frontières avec la Syrie dévastée par Daech et les groupes terroristes, des attentats sanglants de grande ampleur, avec 100 victimes dans à Ankara, des soldats morts, le séparatisme kurdes et des engagements militaires causant des morts chez les soldats, 2,5 millions de réfugiés…
Et malgré tout cela, la Turquie, à l’inverse de la France, n’a pas décrété l’état d’urgence ni renoncé à la Convention européenne des droits de l’homme. Aussi je voyais bien Hollande féliciter la Turquie sur le thème : « Face au terrorisme, ne changeons rien dans notre manière de vivre : allons au café et au concert, ne décrétons pas l’état d’urgence, ne renonçons pas à la Convention européenne des droits de l’homme, ne changeons pas de Constitution… »
Bon, pas de blague : si Erdogan est à nouveau l’ami de l’Europe, c’est que la Turquie s’est engagée à « fixer » les réfugiés sur son territoire. Merci, honneur et respect au bon et juste Erdogan de nous protéger des basanés, de ces salauds de pauvres qui viennent nous ruiner. L’Europe va payer 3 milliards €, et la Turquie se garde les pauvres. Ouf ! Ça c’est de la bonne politique ! Avec pour ce pays ami, une relance du processus d’adhésion à l’Europe – sur le chapitre 17 des négociations, soit le plan politique, économique et monétaire – et une libéralisation des visas turcs pour l’Europe.
Davutoglu avait le verbe enthousiaste : «C'est un jour historique pour notre processus d'accession à l'UE. Nous allons forger la destinée du continent. L’adhésion à l’UE est pour nous un objectif stratégique. Nous nous attendons à un élan majeur dans nos rapports. Je pense que 2016 sera une année charnière dans nos relations ». Mais il attend de la bonne volonté : « J'aimerais vous dire que, oui, le nombre de migrants déclinera, mais nous ne pouvons rien dire parce que nous ne savons pas ce qui va se passer en Syrie. Mais je peux vous assurer que la Turquie va tenir toutes les promesses du plan d’action avec les Européens, et je suis convaincu qu’il y aura plus de migration régulière qu’illégale. » Tu piges, mon pote ?
Ce choix politique de l’Europe est lâche et lamentable.
D’abord, il montre ce que vaut le discours sur les droits de l’homme dans la bouche des dirigeants européens, c’est-à-dire du vent. Du moment qu’Erdogan « fixe » les pauvres, il est l’allié de l’Europe, son attitude vis-à-vis de Daech est exemplaire, et les critiques sur la « dictature » s’effondrent. Je n’aborde pas ici le fonds de ces questions, mais juste l’incroyable légèreté avec laquelle ces questions sont traitées par les dirigeants européens.
Ensuite – et cela m’écœure davantage encore –nous avons maintenant le chiffre : le coût des pauvres de 3 milliards €. Oki ? Bien noté ? Le PIB global des pays de l'UE en 2014 a été de 13 920 milliards €. Donc, les pays qui cumulent de 13 920 milliards € de richesse produites chaque année arrivent, grâce à d’insurmontables sacrifices, à dégager 3 milliards pour les réfugiés,… mais à condition qu’ils ne mettent pas le pied sur le sol européen. Faut-il en rire ou en pleurer ?
L’Europe n’a d’avenir que si elle s’ouvre au Sud, et les efforts à accomplir seraient peu de choses au regard des immenses bienfaits qui résulteraient d’un développement respectueux des relations avec les pays du Maghreb et de l’Orient.