Assurances : Drôles d'infos sur la responsabilité médicale...
Actualités du droit - Gilles Devers, 4/12/2012
« Responsabilité médicale : les médecins condamnés en justice dans 2 cas sur 3 ». Bon courage à nos amis médecins… mais heureusement un gentil assureur veille sur eux !
Comme chaque année, c’est la grande rigolade à la lecture du rapport de l'assureur, le Sou médical (groupe MACSF). Des chiffres qui ne veulent rien dire, et des explications pour tout embrouiller. Mais il faut croire que ça marche, car l’exercice se renouvelle avec joie.
Le Sou médical assure en responsabilité civile professionnelle 386 302 personnels de santé, dont 128 636 médecins. Cet assureur domine le secteur libéral, alors on écoute ce qu’il dit, surtout qu’il y met les formes, avec conférence de presse et site internet dédié. C’est du sérieux.
Nicolas Gombault, directeur général du Sou Médical, du groupe MACSF n’est pas venu pour rire, car il annonce cette info phare : « Lorsque les médecins sont attaqués devant la justice civile, ils sont reconnus responsables et condamnés à indemniser la victime dans deux cas sur trois contre 1 sur 2 au début des années 2000 et 40% il y a 20 ans ». Brrr...
C’est clair. Vous comprenez donc la phrase comme La Tribune : « Les médecins condamnés en justice dans 2 cas sur 3 » ou Le Nouvel Obs : « Les médecins plus souvent condamnés ». Sauf que rien ne le démontre.
Décryptons
Il s’agit de la justice civile. Dire les médecins sont « reconnus responsables et condamnés à indemniser la victime » fait imaginer le médecin au tribunal et sortant son chéquier. Or, en matière civile, le médecin ne supporte pas la condamnation. Le recours est géré par l’assureur. Si le médecin est reconnu responsable, c’est l’assureur qui indemnise la victime. Ca va de soi, et c’est incontournable, alors pourquoi présenter les faits comme si c’était une condamnation personnelle du médecin ?
Dans le procès civil, le médecin libéral est concerné car il reçoit l’acte initial, l’assignation, qu’il doit transmettre à son assureur, et l’assureur prend la direction du procès C’est l’avocat de l’assureur qui rédige les argumentaires et qui vient au procès, pendant que le médecin continue gentiment à s’occuper de ses patients. S’il s’agit d’un médecin salarié ou praticien hospitalier, c’est encore plus simple : le procès est dirigé contre l’employeur. Détendez-vous…
Deux sur trois sont condamnés…
Ensuite, cette phrase : « ils sont reconnus responsables dans deux cas sur trois contre 1 sur 2 au début des années 2000 ». Cela n’a aucun sens.
Il faudrait d’abord fournir des chiffres précis, et savoir si on parle de l’ensemble des jugements et arrêts rendus, ou seulement des condamnations définitives, les seules qui doivent être prises en compte. Si un tribunal rend un mauvais jugement, on fait appel, et le jugement perd tout effet. Alors, le faire entrer dans les stats, c’est nul.
Ensuite, le rapport traite des décisions de justice et des CRCI, les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation, qui ne condamnent personne mais rendent des avis, dépourvus de toute force juridique. Alors, il faudrait savoir si on inclut dans le « 2 sur 3 » les avis des CRCI… J’espère que non, car un avis n’a rien à voir avec une condamnation.
Et puis admettons que le « 2 sur 3 » concerne effectivement les décisions de justice définitives. Cela ne signifierait pas que les tribunaux sont plus sévères. Ça voudrait simplement dire que les avocats qui saisissent la justice le font avec discernement. Si le dossier est mauvais, ils le savent après les excellentes expertises obtenues en référé, et ils n’engagent pas le procès en responsabilité.
Aussi, vouloir faire pleurnicher sur ce « 2 sur 3 » est juste une bonne blague de l’ami Gombault.
Les statistiques sur… les déclarations de sinistres !
Vient ensuite quelqu’un de forcément très sérieux, le Docteur Catherine Letouzey, médecin conseil à la MACSF. Lisons le bon docteur.
« Pour les 128 636 médecins sociétaires de la MACSF (toutes spécialités confondues et quel que soit le mode d’exercice, libéral ou salarié), 1 945 déclarations ont trait à des dommages corporels. La sinistralité est de 1,51 pour 100 sociétaires médecins (toutes spécialités confondues et quel que soit le mode d’exercice, libéral ou salarié) (1,53% en 2010) ».
On parle donc de « déclarations », pas de condamnations définitives par les tribunaux. C’est le critère de la sinistralité, le chiffre des « déclarations de sinistre ». C’est une donnée factuelle, qui n’a rien à voir avec l’activité des tribunaux.
Le docteur précise : « Ces 1 945 déclarations d’accidents corporels concernant des médecins ont fait l’objet, de la part des malades ou de leur entourage, de 78 plaintes pénales, 182 plaintes ordinales, 401 assignations en référé (civil ou administratif), 706 réclamations (orales, écrites ou par mandataire) et de 578 saisines d’une Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) ».
De simples réclamations
Le plus grand nombre, ce sont des réclamations : 760. Qu’est qu’une réclamation « écrite ou orale » ? Un patient qui râle qui demande des explications. Le médecin répond, et parfois, il fait une déclaration de sinistre auprès de l’assureur, notamment s’il est inquiet. Cela n’a aucune portée judiciaire. Aucune. De quoi parle-t-on ?
Les commissions de conciliation
Viennent ensuite les saisines des Commissions Régionales de Conciliation et d’Indemnisation (CRCI). Les demandes sont formées sans frais, en remplissant un imprimé, et si l’atteinte corporelle est grave – ce qui ne veut pas dire qu’elle a été causée par une faute – la CRCI va ordonner une expertise. Dans quelle proportion l’expertise ouvre-telle vers la mise en cause de l’assureur du fait d’une faute du médecin ? Aucun chiffre n’est donné. J’ajoute que la CRCI permet d’indemniser les dommages quand ils ont été causé par des accidents non fautifs, et que le paiement est alors effectué par une caisse publique l’ONIAM (Office d’indemnisation des accidents médicaux). Rien à voir avec l’assureur et encore moins avec le médecin.
Les référés
On poursuit ? 401 assignations en référé. Là, c’est du judiciaire, oui. Mais qu’est-il demandé par ces référés ? La désignation d’un expert, aux frais avancés du patient, et rien de plus ! Aucune condamnation. C’est l’expert, donc un médecin, qui explique si les soins ont été conformes aux données acquises de la science, ou s’ils sont défaillants. S’ouvre ensuite, si l'expertise le permet, un procès ou une négociation. Ce sont ces chiffres-là qui seraient intéressants. Tout le reste est du vent. Avec des chiffres précis, on pourrait aussi mettre fin au petit délire sur la sévérité des tribunaux. Les tribunaux seraient sévères s’ils admettaient des fautes quand les experts ont donné des avis contraires. On a des chiffres, Docteur ? Laissez-moi rire !
Plaintes ordinales
Poursuivons avec les plaintes ordinales : 181. A partir de ces plaintes, combien de condamnations ? Des chiffres, docteur ! Et quelles condamnations ? Des avertissements, des blâmes, ou des interdictions d’exercer ? Il y a une petite différence… Je précise qu’en matière ordinale, les juridictions sont composées de médecins. Apparait ici le même problème que pour les experts : on met en cause la Justice pour sa sévérité, alors que sont des affaires de toubibs.
Le pénal
Reste le pénal, le plus inquiétant : 78 plaintes pénales. Là encore un chiffre, objectivement faible, qui n’a pas de contenu judicaire. Il faudrait savoir ce que sont devenus ces plaintes : combien ont-été classées sans suite ; combien sont allées jusqu’à une audience de jugement ; combien ont été suivies par un jugement de condamnation devenu définitif ; quelle a été la condamnation... Nous n’avons pas de chiffres officiels, mais il semble réaliste de dire que 10 ou 20% de ces plaintes se terminent par des condamnations définitives à quelques mois de prison avec sursis. Ces affaires sont rares, très rares.
L’exemple des anesthésistes-réanimateurs
Allant voir dans le rapport, je prends le chapitre sur les anesthésistes réanimateurs, et je cite, par exemple, ce qu’on trouve pour les intubations, où quatre cas sont cités.
« Luxation d'une corde vocale avec dysphonie persistant après l'intervention, chez une femme de 34 ans opérée d'une rhinoseptoplastie.
« Dysphonie après AG et masque laryngé aux suites simples, rapportée sans preuve à un hématome du larynx.
« Echec de l’intubation (prévue difficile) à l’induction chez un homme de 55 ans, lors d’une chirurgie urologique. Trachéotomie, déplacement de la sonde après transfert en réanimation. Décès cinq mois plus tard en rapport avec l’évolution métastatique du cancer.
« Paralysie musculaire des dilatateurs du larynx due à une intubation traumatique pour dysphonie après thyroïdectomie totale ».
Alors, de quoi parle-t-on avec ces déclarations de sinistres ? De faits qui, à un titre ou à un autre, ont inquièté un médecin, mais qui ne donnent aucune indication fiable. Impossible de savoir s’il y a eu faute ou non, si un procès a été engagé ou non, et même si l’expertise est défavorable ou non...
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Et on appelle çà de l’information sur la responsabilité médicale... Les médecins sont vraiment peu curieux sur tout ce qui s’approche du droit pour se satisfaire de cette bouillie pour bébés.