Outreau : L’affaire ne sera jamais finie…
Actualités du droit - Gilles Devers, 6/03/2013
On pouvait croire l’affaire d’Outreau cadenassée, non par la révision d’une erreur judiciaire, mais par un arrêt de Cour d’assises de Paris de 2005, prononçant la condamnation de quatre personnes, et l’acquittement de treize autres. Mais le feu n’est pas éteint… Un documentaire de Serge Garde, avec un titre visqueux à souhait « Outreau, l'autre vérité », rallume le feu.
Un documentaire pour foutre le feu
Le documentaire a été lancé avec un haut degré polémique et on peut lui prévoir une bonne notoriété. Je ne l’ai pas vu, et ne vais donc pas en parler, mais comme ça va brasser un max, il faut essayer de poser quelques bases.
Treize personnes ont été jugées innocentes, et l’arrêt est définitif. Un abruti fini peut dire « qu’il n’y croit pas », certes, et la seule réponse est une chirurgie du lobe abruti. Si le patient est abruti à 100%, on peut faire sans anesthésie : c’est moins cher, et il ne sentira rien. Donc, que personne ne s’amuse ici à remettre en cause l’innocence des innocentés, sinon les brigades chirurgicales du blog sont prêtes à intervenir.
La plaidoirie de Serge Garde
Serge Garde ne s’aventure pas sur ce terrain. C'est ce qu’il explique dans la Voix du Nord, et voici quelques extraits :
Pourquoi avez-vous réalisé ce film ?
« C'est la première fois qu'on porte un autre regard sur l'affaire. La version mise dans la tête de toutes les personnes qui ont suivi le procès ne correspond pas à la vérité. Il n'y en a eu qu'une seule et elle va dans le même sens. La réaction majoritaire des premiers spectateurs qui ont vu ce film est "On nous a menti" et je ne peux pas leur donner tort. »
Pourquoi ne pas avoir réalisé une contre-enquête portant sur les acquittés ?
« Je n'avais pas envie de vérifier si tel acquittement était justifié ou non dans cette affaire. Ce qui m'a intéressé, c'est la nature du fiasco. Je partage le point de vue de Philippe Muller (procureur, ancien substitut au parquet général, à Douai) qui expliquait que "le véritable fiasco réside dans la façon dont on a traité les enfants". Est-ce que la place d'un mineur est dans une cour d'assise ? »
Le non-respect des enfants, qu'est-ce que vous en pensez ?
« Maintenant, ces jeunes sont des bombes à retardement. Cela fait dix ans qu'on leur répète que ce sont des menteurs. Et on ne mesure pas les dégâts psychologiques causés à ces jeunes. »
Pourquoi évoquez-vous dans votre film l'instrumentalisation de l'affaire par les politiques ?
« J'étais journaliste pendant plusieurs années. À cette époque, j'avais la tête dans le guidon alors qu'il faut prendre le temps. Mais quand vous êtes sur place comme lors du procès, vous allez voir les gens présents et c'est normal. Pendant l'affaire, les avocats de la défense étaient les seuls présents. Et c'est un piège pour un journaliste de croire qu'un avocat va sélectionner les passages du dossier les plus intéressants. Il ne faut pas confondre la parole d'un avocat avec la vérité sur des dossiers de plusieurs milliers de pages. Je pense qu'il faudrait y réfléchir au niveau de la presse et du pluralisme ».
Woaouh…
La plaidoirie de Stéphane Durand-Souffland
C’est le très respecté Stéphane Durand-Souffland, du Figaro, qui allume Serge Garde de la manière la plus argumentée. Extraits :
« M. Garde, qui ne s'y était pas déplacé non plus [aux procès], procède par postulats, sur la base des charges telles qu'on les considérait en 2003.
« Les enfants n'auraient pas pu témoigner librement à l'audience, terrorisés qu'ils furent par les avocats de la défense ou moqués par l'avocat général: c'est faux. Le procès en appel (avec ses douze jurés populaires tirés au sort) était truqué par le pouvoir politique et devait aboutir à l'acquittement des six accusés: c'est faux. Cet enterrement en apothéose avait pour but de supprimer la fonction de juge d'instruction: c'est faux. La presse a été manipulée de bout en bout par les avocats de la défense: c'est faux.
« M. Garde, qui se targue d'avoir lu l'intégralité du dossier - mais d'autres journalistes que lui l'ont fait et contestent son analyse point par point -, ne dit rien des absurdités innombrables qu'il recèle. Évidemment : ce sont ces absurdités, mises au jour à l'audience, qui ont conduit à l'acquittement des innocents. Par contraste, les éléments solides ont motivé les condamnations définitives ».
Et il conclut sévèrement :
« Ce documentaire, qui n'apporte strictement aucun fait nouveau à la connaissance de l'affaire, ne résulte pas d'un travail d'enquête journalistique classique, ouvert à la contradiction, mais véhicule une croyance. Or, la justice ne se rend ni ne jaillit dans des salles de culte. Il y a des jours où, plutôt que d'aller au cinéma, mieux vaut se payer un billet de cirque ».
Rendez-votre jugement… mais à bon escient
Le film a été projeté à la Maison du Barreau de Paris, et sur son blog, Valandre78 donne une idée de l’ambiance joyeuse et constructive de cette soirée.
Aussi, je vous recommande évidemment de voir ce documentaire critiqué, de lire toutes les critiques et de vous faire une opinion.
Avec son impartialité légendaire, le blog donne une grosse prime à Stéphane Durand-Souffland, qui a bien suivi l’affaire, à Saint-Omer et à Paris, et qui a toujours dénoncé les failles et les instrumentalisations de ce sinistre dossier. Mais, notre ami Stéphane s’énerve pour rien en parlant de cirque.
Si le film de Serge Garde a cet impact, c’est que l’affaire a été mal réglée.
La cour d’assises de Paris statuait à huis clos et par un arrêt non motivé, dans le contexte d’un cirque médiatique des autorités judiciaires. La cour a proclamé des culpabilités et des innocences, sans les expliciter. C’était l’état du droit, certes, mais la justice repose sur la force du raisonnement,… et cette faille est irréparable.
L’explication était alors attendue de la commission parlementaire,… présidée par un Vallini baignant de bonheur à organiser le sacrifice rituel du juge Burgaud, et cette commission a fini d’embrouiller les pistes.
En 1/ le travers de l’affaire, c’est la faiblesse des lois, et voir les parlementaires accuser les juges qui tentent de se débrouiller avec les lois idiotes votées par le Parlement, était indécent.
En 2/ il faut rappeler que le juge d’instruction ne requiert pas les mandats de dépôt – c’est le rôle du procureur de la République – et qu’il ne les prononce pas – c’est le rôle du juge de la liberté et de la détention. Les décisions du juge ont fait l’objet de maints appels, et la chambre d’instruction, sur réquisitions conformes du procureur général, a confirmé l’essentiel des décisions du juge… pour au final, ordonner le renvoi général devant la cour d’assises de Saint-Omer. Alors, focaliser sur Burgaud, c’est gavant.
Une justice sans explication, ce n’est pas du cirque... Ce sont des questions sans réponse, et il faut l’admettre. Cette non-réponse de la justice pèsera toujours sur l’affaire d’Outreau.