Le contrôleur des lieux de privation de liberté et la prison marseillaise des Baumettes
Paroles de juge - , 6/12/2012
Par Michel Huyette
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), dans une recommandation "en urgence"
datée du 12 novembre 2012, considère que "Le constat dressé par la vingtaine de contrôleurs qui ont visité, du 8 au 19 octobre le centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, fait apparaître
sans aucun doute, une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation, incombant aux autorités publiques, de préserver les personnes détenues, en application des
règles de droit applicables, de tout traitement inhumain et dégradant." (lire sur son site ici) (publication au journal officiel du 6 décembre -
lire ici - avec la réponse du
ministère de la justice).
Le CGLPL écrit, notamment :
" Il existe un fait incontestable. L'état matériel très dégradé du centre pénitentiaire est dans
l'ensemble parfaitement connu. A l'issue de sa visite dans l'établissement à la fin de 1991, le Comité (européen) de prévention de la torture (CPT) notait, dans son rapport, que « les conditions
de détention... laissaient fortement à désirer » (paragraphe 91) et que les « conditions d'hébergement dans les bâtiments A et B de Marseille-Les Baumettes ont fait l'objet d'une observation
immédiate de la part de la délégation ». Il relevait notamment que « l'état général de ces cellules et de leur équipement était d'une vétusté avancée. Certaines d'entre elles étaient très sales,
tout comme leur literie » (paragraphe 92). Il concluait, en particulier, que « soumettre des détenus à un tel ensemble de conditions de détention équivaut, de l'avis du CPT, à un traitement
inhumain et dégradant ». Revenu sur place en 1996, le Comité donnait acte aux autorités de la réalisation de certains travaux, de la diminution de la population pénale, de l'augmentation de la
fréquence des douches mais maintenait que les travaux de rénovation du centre pénitentiaire devaient bénéficier d'une « haute priorité » (rapport, paragraphe 93). De son côté, la délégation du
Sénat, visitant la prison le 18 avril 2000, indiquait qu'une centaine de cellules étaient inoccupées « compte tenu de leur état de vétusté », que les bâtiments A et B sont vétustes et que « de
nombreuses cellules ne comportent pas d'isolation des toilettes ». Enfin, le commissaire européen aux droits de l'homme se rend dans les locaux en septembre 2005 et se disait « choqué des
conditions de vie observées... aux Baumettes ». « Le maintien de détenus en leur sein me paraît, ajoutait-il, être à la limite de l'acceptable et à la limite de la dignité humaine. (..) Après ces
constats régulièrement faits depuis vingt ans, le contrôle général est amené à constater qu'en 2012 aucune amélioration substantielle n'a été apportée, en dépit des efforts des directions
successives de l'établissement. »
" Voici, par exemple, le constat que deux personnes détenues font de leur cellule, dont la véracité a été
scrupuleusement vérifiée par le contrôle général : « absence de la partie supérieure de la fenêtre ; fil alimentation téléviseur coupé (absence de prise) ; pas de lumière (ampoule manquante), pas
de veilleuse pour le surveillant de nuit ; pas d'interphone d'urgence ; w.-c. récent mais non fixé au sol et chasse d'eau quasi inexistante, pas de cloison d'intimité, lavabo bon état mais fuite
au sol au niveau du siphon ; pas de miroir ; réfrigérateur très sale et infesté de cafards tant à l'intérieur qu'à l'extérieur ; murs sales, dégradés et presque couverts d'inscriptions en tous
genres, nombreuses araignées et cloportes ; sol sale, nombreux détritus, pas de cabine de douche ni d'eau chaude ; aucun placard ni rangement, pas de quoi s'asseoir, pas de table ». Une autre
personne ajoute : « c'est fait pour nous rendre fous »."
"Trois ou cinq douches sur dix fonctionnent dans des salles de douche crasseuses, ce qui ne permet pas à
tous ceux qui y ont droit de se doucher dans le délai prescrit (l'amélioration constatée en 1996 a fait long feu). Depuis deux ans, les rats pullulent (on en voit même dans la journée) et
s'ajoutent aux autres nuisibles : les surveillants font leur ronde de nuit en tapant des pieds pour les éloigner, avec un succès inégal. La cuisine a été restaurée en 1998 mais les couloirs du
sous-sol où elle est installée sont extrêmement sales. En bref, l'insalubrité et l'absence d'hygiène sont consubstantielles à la plus grande partie de l'établissement. Les greffiers des juges de
l'application des peines (et donc les magistrats) et les infirmiers du service psychiatrique (SMPR) refusent catégoriquement (ces derniers au nom de leur indépendance) de mettre les pieds en
détention. Ce n'est pas tout : la sous-commission départementale pour la sécurité (incendies) a demandé, le 29 avril 2011, la fermeture des locaux."
"L'état des bâtiments est vécu comme une fatalité par une bonne partie des agents, qui poursuivent
parfois l'exécution de gestes professionnels dépourvus de sens, comme le contrôle de nuit de cellules dépourvues d'éclairage et de protection des œilletons des portes ou comme la « fouille
visuelle » ou, à l'inverse, ne mettent pas en œuvre des consignes qui, en l'état, sont dépourvues de portée."
"La sur-occupation reste la règle : au 1er octobre 2012, pour 1 190 places dans l'établissement, 1 769
personnes sont effectivement présentes. Elle continue de croître, se concentrant sur la seule maison d'arrêt des hommes : le taux d'occupation y est de 145,80 %. Marseille accueille pourtant des
personnes qui font l'objet de mesures de « désencombrement » de maisons d'arrêt des environs : un surcroît d'occupation dans ces établissements sous gestion déléguée entraîne en effet pour l'Etat
le versement de pénalités. Or, dans le même temps, existent des contraintes d'effectifs : non seulement existent des pénuries de personnel (en particulier de premiers surveillants) mais les
conditions de travail génèrent un taux élevé d'absentéisme : entre 1 600 et 1 900 jours par mois (2,6 jours par personne) reportant une charge de travail accrue pour ceux qui sont présents : il
arrive qu'il y ait un surveillant pour tout un étage (environ deux cents détenus). Dans ces conditions, certaines prestations ne sont plus assurées."
"Une telle situation est génératrice pour les personnes détenues, et aussi pour le personnel, de
conditions sans doute inhumaines, sûrement dégradantes. Sa persistance, en dépit d'alertes répétées depuis vingt ans, appelle des solutions énergiques."
Des photographies, parfois plus révélatrices que des mots, ont été mises en ligne sur le site du CGLPL et
en même temps sur le site du journal Le Monde (voir ici).
La situation d'un tel établissement pénitentiaire génère d'abord une problématique juridique à laquelle
le contrôleur fait allusion. En effet, l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme (document ici) mentionne : "Nul ne peut être soumis à la torture
ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants." La question est donc posée du caractère éventuellement dégradant voire inhumain de telles conditions de détention.
C'est au demeurant pour de telles raisons que l'Etat français a plusieurs fois été condamné pour des conditions de vie inacceptables imposées à des détenus (cf. ici, ici, ici, ici)
Mais la problématique est plus vaste.
Les conditions de détention des personnes incarcérées ont inéluctablement des conséquences pour la sécurité des détenus comme du personnel pénitentiaire. A propos de la prison
marseillaise, des surveillants ont à titre d'exemple des dysfonctionnements graves expliqué qu'à cause du manque d'éclairage dans certaines cellules il leur est impossible de surveiller qui
y est présent et ce qui s'y passe. Or dans certaines situations un contrôle régulier est indispensable.
En plus, un environnement dégradé, et donc dégradant, peut être à juste titre ressenti comme humiliant, frustrant, méprisant, et déclencher des réactions de rejet ou de violence à
cause du sentiment de ne pas être traité avec un minimum de considération, quoi que l'on ait fait qui justifie la privation de liberté.
Enfin, alors que les citoyens exigent que le taux de récidive soit le plus bas possible, les conditions de détentions très dégradées sont de nature à faire obstacle à un processus de
réinsertion. Un détenu qui pourrait se comporter positivement et bénéficier de mesures préparatoires à sa sortie peut être découragé par un environnement dégradant et humiliant, se révolter
parce que ses conditions de vie sont objectivement devenues insupportables, et perdre ainsi le bénéfice des efforts accomplis pendant des mois ou des années.
Le progrès personnel passe par une restauration de l'estime de soi. Et il ne peut pas y avoir d'estime de soi quand s'installe le sentiment que l'indifférence ou le mépris ont pris
le pas sur la main tendue et l'accompagnement dans l'effort.
Sans doute en période de difficultés budgétaires y a-t-il de nombreux autres besoins. Sans doute certains se disent-ils que ceux qui ont choisi de violer la loi et d'agresser la
collectivité ne sont pas forcément prioritaires au moment de répartir les investissements.
Mais en laissant se dégrader à l'excès l'état des prisons françaises, c'est aussi la collectivité qui prend un risque. C'est pour cela que l'amélioration de l'état des prisons est de
l'intérêt de tous, et non seulement des personnes emprisonnées.