Didier Maïsto : capitaine sur le pont...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/02/2020
Didier Maïsto est le président de Sud Radio : je sais.
Je participe chaque soir aux Vraies Voix sur Sud Radio et à un débat le vendredi matin : je sais.
Didier Maïsto est mon ami et d'aucuns me taxeront de complaisance : je sais.
Il publie "Passager clandestin" au Diable vauvert.
Ce livre, c'est lui, lui tout entier avec, derrière les facettes contrastées de sa personnalité singulière, une unité profonde. La cohérence qui est la sienne n'est pas artificielle, ne lui vient pas de l'extérieur car il n'a absolument pas le souci de se simplifier pour répondre à des exigences qui ne relèveraient pas de ses propres choix.
La cohérence, il la crée parce qu'il est lui-même dans chacune de ses activités, dans tous les épisodes de sa vie, heureux ou malheureux, intimes ou professionnels. Il n'est pas de ceux qui ont une multitude de tiroirs à leur disposition et en ouvrent un pour chaque séquence de leur existence. Qu'on l'apprécie ou non, Didier Maïsto ne se dissimule pas derrière des leurres sophistiqués, il se projette en pleine lumière partout où il pense, agit, dénonce, s'indigne, se révolte ou applaudit. Ses enthousiasmes comme ses détestations sont transparents.
Et infiniment courageux.
Car il ne se contente pas, selon une commodité française plus lâche que polie, de pourfendre des abstractions mais il nomme et accable les gens qui lui ont manqué, qui l'ont déçu, parce que leur conception de l'honneur et de la vérité étaient aux antipodes de la sienne. Il cingle les organismes, les instances inférieurs à leur mission (CSA, Médiamétrie).
Et ses coups, pour être d'écriture, sont ravageurs.
C'est déjà souligner le principal attrait de ce livre à vif : ses pages sont brûlantes de sincérité et d'authenticité. Et, derrière l'auteur talentueux - car il a du style, de l'élan, de la force et il ne dédaigne pas parfois les délicatesses d'une prose poétique et même lyrique - il y a un homme qui n'est pas fait de tous les hommes mais de lui d'abord.
Une extrême sensibilité, du coeur à revendre, de l'affection à prodiguer, une envie de s'attacher, de se rattacher à la chaleur de l'humain, en conciliant la solitude qui ne lui fait pas peur avec le rêve d'une fraternité qui ne serait pas illusion ou simulacre. Contre les déceptions que sa lucidité anticipe, il mène un combat jamais lassé et il ne se départ jamais de ce charme singulier qui tient à des brisures assumées et, en même temps, à une fougue revigorante.
La liberté est sa ligne directrice, l'inspiratrice de tous ses comportements, quel que soit leur champ.
La liberté qu'il se donne, dont il abuse selon certains, mais dont il ne reproche jamais aux autres d'en user, bien au contraire. C'est ce qui laisse penser parfois à des querelles absurdes : parce que lui se livre et que des contradicteurs face à lui se retiennent. De l'audace face à de la cautèle : un combat inégal.
La passion du risque sur tous les plans, notamment dans le domaine de la moto et des voitures. Avec un accident grave un jour. Il décrit très bien la volupté de la vitesse et le sentiment de côtoyer à chaque seconde un gouffre possible, un péril mortel, même lucide et maître de soi. Le risque presque comme un art de vivre. Une propension à la folie quand elle veut bien ressembler à une sagesse de l'extrême.
Le risque de la passion aussi. Cette dilatation du coeur et de l'esprit - que je partage - n'est pas une faute de goût mais au contraire le climat naturel d'un caractère qui n'aborde rien du bout des lèvres et de la pensée mais qui est tendu par la volonté de convaincre, le désir de séduire, et possédé par l'exigence d'être soi tout le temps.
Dans les tréfonds de cette autobiographie enflammée, sans tomber dans une ridicule analyse, je n'ai pu m'empêcher de déceler des fulgurances déchirantes comme par exemple la dilection inconditionnelle qu'il éprouve pour Philippe Séguin. Et quand je lis: "Séguin, c'est le fils maudit qui souffre de ne pas être reconnu par Chirac à sa juste valeur, qui est d'abord sentimentale", à tort ou à raison j'y perçois comme un message que Didier Maïsto nous adresse pour nous éclairer un peu sur lui-même.
Il y a ses fragilités mais aussi ses combats.
La cause des Gilets jaunes est devenue la sienne et il ne s'est pas contenté de parler d'eux: il les a vus vivre, protester, fraterniser, faire masse, il les a soutenus et continue à s'en faire le témoin, le chantre, le défenseur, aussi bien sur le terrain que par les amitiés qu'il a nouées. N'ayant jamais ressenti mépris ni condescendance à l'encontre des Gilets jaunes, je n'en suis que plus à l'aise pour mettre en cause sa vision sincère mais un zeste hémiplégique, son acharnement à dénoncer les violences policières mais à sous-estimer celles de la multitude en face avec la tentation, coûte que coûte, de la faire correspondre à une image d'Epinal. Il a besoin de leur inventer du romantisme pour le faire pactiser avec le sien authentique. Rien de ce qui est modeste et démuni ne lui est étranger : il comprend, il connaît les richesses de la misère. Sa révolte, sa fierté.
J'aime que, sachant d'où il vient, il ne l'oublie jamais et soit aux antipodes de beaucoup de petits marquis de la classe médiatique.
Jamais, dans la quotidienneté intense et chaleureuse de Sud Radio, avec un président et un directeur général exploitant leurs différences pour en faire un cumul dont cette radio a bénéficié (sa progression l'atteste), sa liberté n'a été mise à mal. Le slogan "Parlons vrai" est d'abord l'affirmation éclatante d'un parler libre et ce n'est pas flagorner que d'en créditer Didier Maïsto.
"Passager clandestin" mérite d'être lu. On n'y piétine pas, on y prend des brassées de vent, de colère et d'audace. Je ressens moins son auteur selon la définition du titre que comme un capitaine sur le pont.
Partout où on offense, on humilie, on méprise, il est là. Partout ou ça se bat et où il faut résister, il est là. Partout où "la grandeur du petit peuple" est à défendre, il est là.
Capitaine sur le pont, oui, cela lui va bien. J'ai connu trop de moments dans ma vie judiciaire où je ne raffolais pas de la hiérarchie parce qu'elle manquait d'allure et de courage, pour ne pas me féliciter de cette bienheureuse embellie qui est venue se ficher dans mon existence.
On me comprendra en lisant son livre.