C'est qui, ça ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 10/02/2015
Avec Christiane Taubira, on n'est jamais en retard d'un mépris.
J'avoue ne pas parvenir à m'habituer à la réputation d'humaniste de cette ministre alors qu'elle vient encore de manifester, dans un entretien avec Laurence Haïm sur i-Télé, à quel point celle-ci est usurpée et comme elle se repaît des humiliations verbales qu'elle dispense.
Quand cette journaliste lui demande ce qu'elle objecte aux nombreuses attaques dont elle fait l'objet, elle réplique "qu'elle ne pleure pas pour des âneries pareilles" ou "parce que des imbéciles arriérés la traitent de tous les noms".
Pour faire preuve de bonne volonté, j'admets qu'à la rigueur cette riposte vulgaire peut se concevoir et qu'elle a le droit de qualifier ceux qui n'aiment pas plus sa politique pénale qu'elle-même "d'arriérés" et "d'imbéciles". La désapprouver, la mettre en cause est une offense qui à l'évidence, pour elle, n'appelle que ce type de sarcasme.
Mais elle poursuit sur sa lancée arrogante et se flatte "d'un concentré de dédain". Sur l'interrogation qui suit - "c'est ce que vous inspire Marine Le Pen ?" -, elle jette un "c'est qui, ça ?" et sans doute est très contente d'elle.
Déjà au risque d'apparaître comme un puritain de la politesse, même quand le fond oppose, je suis effaré qu'une ministre de la République se permette de traiter ainsi la présidente d'un parti qui, aussi discuté qu'il soit, est, dans l'espace démocratique, la force qui dame le pion au Parti socialiste et à l'UMP. Raison suffisante, dès lors qu'il n'est pas interdit, pour ne pas s'abandonner à une dérision de très mauvais aloi.
Est-il inconcevable de la sentir imprégnée d'un sexisme à rebours car il m'étonnerait fort qu'à l'encontre d'un homme politique même détesté, Christiane Taubira ait eu la même réaction?
Cette dernière, cependant, met en lumière bien plus qu'elle-même. Christiane Taubira, trop vite qualifiée de courageuse par quelques inconditionnels de la vraie croix socialiste, en réalité a peur du débat, celui qui la confronterait à de véritables contradicteurs et non pas à des approbateurs systématiques.
En effet, à bien examiner cette saillie scandaleuse, elle dit tout du caractère de Christiane Taubira mais ne dit rien sur le plan politique. Il me semble même qu'elle a, psychologiquement, pour visée de permettre à la ministre d'éviter ce dernier. Il est clair que le mépris qu'elle affiche à l'encontre de Marine Le Pen est le moyen qu'elle a trouvé pour obtenir un assentiment facile au détriment d'une opposition qui l'aurait contrainte à argumenter et à ne pas se payer de mots. Pour elle, cette attitude est le succédané d'une fuite, d'une impuissance. Pour ces échanges d'antagonisme structuré, citer un poète dans chaque phrase ne lui aurait pas suffi et sa cause aurait été battue en brèche !
Cette perception me paraît d'autant plus pertinente que ce comportement de dérivation lui est coutumier. Il y a un an environ, elle avait bénéficié d'une double page dans Paris Match, assez émouvante au demeurant avec ses états d'âme et sa nostalgie amoureuse, mais la journaliste l'avait tout de même questionnée sur son bilan en lui demandant si elle accepterait de dialoguer avec Marine Le Pen. Elle avait eu le front de s'échapper du piège en prétendant qu'elle ne s'entretenait pas avec "des gens qui ne pensent pas".
Même mépris, même désinvolture, même faiblesse en réalité.
Tout cela pourrait demeurer à un stade de vanité et d'infantilisme - qui peut en effet prendre "c'est qui, ça ?" pour autre chose qu'une lamentable condescendance indigne de ce que le FN devrait entendre et qu'elle a éludé - si Christiane Taubira, à cause de sa politique pénale calamiteuse, de son narcissisme et de son oubli du peuple réel, ne méritait pas, au sujet du garde des Sceaux qu'elle n'a pas été, cette insultante interpellation : "C'est qui, ça ?"