Actions sur le document

La bêtise à la carte...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 28/01/2015

Heureusement je pourrais aisément, dans la foulée, écrire un billet sur les intelligences, les fulgurances à la carte. Il faudra que j'y songe.

Lire l'article...

Il y a des variétés de bêtise comme il y a plusieurs sortes d'intelligence et il arrive même que les unes et les autres, parfois, se mélangent en une seule personne.

L'actualité récente nous offre un bel échantillon contrasté des premières. Je vais sans doute en oublier mais je tiens à faire un sort à celles qui m'ont marqué.

La bêtise tragique pour la Libye.

La situation de ce pays devient de plus en plus explosive dans tous les sens du terme. C'est une catastrophe absolue. Le chaos et l'injustice règnent aujourd'hui. Le "prince" Nicolas Sarkozy et son conseiller d'alors Bernard-Henri Lévy ont eu tout faux avec cette intervention de 2011. On ne sait pas si le premier s'en félicite encore mais le fait que le second ne s'en repente pas n'est pas décisif : il faut un grand courage intellectuel pour reconnaître qu'on a eu tort. Gravement tort.

La bêtise butée de Jean-Marie Le Pen. Ou sénile si on est moins poli.

En effet cet incroyable gêneur, qui ne se remet pas de n'être plus que le père de Marine Le Pen, continue à soutenir des absurdités et à insinuer des soupçons sur les attentats qui ont endeuillé la France du 7 au 9 janvier. Il y aurait du complot là-dedans et les services secrets n'y seraient pas pour rien ! C'est à la fois indécent et ridicule.

La bêtise sectaire de Claude Bartolone.

La remise des prix du Trombinoscope, sous l'égide de Public Sénat et de Gilles Leclerc, s'est déroulée dans la résidence officielle du président de l'Assemblée nationale mais celui-ci a décidé de la boycotter, comme Emmanuel Macron qu'on imaginait immunisé, pour en avoir souffert, contre les postures partisanes, parce que Steeve Briois a été désigné "élu local de l'année" tandis que, par ailleurs, Laurent Baumel, un "frondeur", s'est vu couronné comme "député de l'année".

Ainsi il faudrait admirer la pose idéologique de Claude Bartolone qui n'avait déjà pas donné de lui une image exaltante lors de la polémique entre Sandrine Mazetier et le député UMP Julien Aubert.

On peut d'autant plus regretter cette abstention inepte, pour la façade, que sur le plan médiatique et politique Claude Bartolone cherche à apparaître comme une personnalité libre, enthousiaste, courageuse et sans tabous.

Dans tous les cas il a gagné puisque Gilles Leclerc saisi, lui aussi, par "le politiquement correct", a éprouvé le besoin de souligner, par un distinguo subtil, que pour Steeve Briois il ne s'agissait pas d'une récompense mais qu'étaient seulement consacrées, à travers lui, les avancées municipales du FN. Cette France devient étouffante à force de lâche prudence et d'occultation frileuse du réel.

La bêtise conventionnelle de Christine Lagarde.

Interrogée lors du Forum de Davos, elle a déclaré, après la mort du roi Abdallah d'Arabie saoudite, que "c'était, d'une façon très discrète, un grand défenseur des femmes. C'était très progressif, ce qui est probablement mieux pour ce pays, mais il y croyait fermement" (Le Canard enchaîné).

Toutes les gloses possibles sur cette "discrétion" dont le concept sera bien utile à tous ceux qui n'accomplissent rien pour le progrès et la Justice mais se réfugieront derrière leur infinie modestie qui les a incités à ne rien faire savoir de leurs oeuvres !

Mais, en l'occurrence, sous cette ineptie majestueuse proférée par Christine Lagarde, je perçois le poids des conventions, l'emprise de ces rituels vides de sens qui conduisent, plutôt qu'à se taire, à dire du bien de ceux qui ne le méritent pas, quoique disparus. La bêtise, alors, est dévastatrice et, émanant d'une personne trop vantée - l'arbitrage Tapie est quasiment relégué - fait réfléchir sur la lucidité politique et médiatique.

J'aurais pu, dans mon inventaire, en ajouter d'autres, par exemple Jacques Séguéla ou Pierre Bergé, mais ce billet n'en finirait plus !

Je devine déjà les réactions de certains. Pour qui se prend-il ? Lui aussi, il a dit ou dira des bêtises. C'est évident. Mais celles que j'ai relevées ont une importance singulière parce qu'elles ont été le fait de personnes qui peu ou prou, dans des registres différents, ont une influence sur l'opinion publique ou sur le pouvoir. Elles ne devraient pas se permettre de proférer, d'accomplir n'importe quoi. Elles n'ont pas le droit à l'irresponsabilité.

Cependant il est intéressant de constater comme parfois ces billevesées, trop souvent protégées par leur stupidité intrinsèque et la réputation de leur locuteur ou de leur acteur, ne prêtent pas trop à conséquence. Car elles sont opportunément compensées par d'autres interventions ou, plus lourdement, par l'univoque leçon de la réalité.

Pour la Libye par exemple. Et Rony Brauman a alerté comme il fallait tandis que BHL est désavoué.

Quant à Claude Bartolone, certes, il nous a désolés mais la réaction de Laurent Baumel, aussi socialiste que lui, l'a racheté. Jean-Marie Le Pen n'a convaincu personne malgré sa volonté de demeurer en première ligne du FN. Christine Lagarde, à l'avenir, préférera le silence à la politesse convenue.

Heureusement je pourrais aisément, dans la foulée, écrire un billet sur les intelligences, les fulgurances à la carte.

Il faudra que j'y songe.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...