TAFTA : La justice, et non l’arbitrage
Actualités du droit - Gilles Devers, 18/09/2015
La justice a bien des défauts, et on manquerait de temps pour en raconter les dysfonctionnements et les travers. Mais, lorsqu’on imagine de la supprimer pour régler les différends, on se rend compte alors qu’elle reste le meilleur des systèmes. Très explicite est la question du recours à la justice pour le TAFTA.
L’affaire du TAFTA de quoi inquiéter dès lors que c’est la très libérale Commission européenne qui négocie les conditions d’investissement des grands groupes étasuniens. Négociations secrètes, on n’a droit qu’à des miettes… Or, de part et d’autre de l’Atlantique, ce ne sont pas les mêmes principes, pas les mêmes lois, pas les mêmes choix de société, et faciliter l’accès au territoire européen de ces économies conquérantes et ouvertement impérialistes, c’est un choix plus que discutable. L’Europe doit se donner d’autres priorités.
Cela étant, l’un des points les plus préoccupants étaient le refus de s’en remettre à la justice de droit commun pour statuer sur les litiges TAFTA, en préférant des tribunaux arbitraux privés,
Le TAFTA va créer des contentieux entre les grands investisseurs et les Etats. Genre : les Etats se sont engagés par la signature du TAFTA, et par des choix démocratiques, ils prennent des options politiques qui remettent en cause sensiblement les bases fixées dans le TAFTA. C’est une typologie de litige bien connue en droit commercial international, avec comme caractéristiques des montants financiers conséquents, et la mise en cause de la souveraineté des Etats.
Si vous avez apprécié la manière dont la Grèce s’est faite rouler dans la farine financière en juillet 2015, avec des négociations secrètes, un accord non publié remplacé par un communiqué de presse, une remise en cause directe de sa souveraineté, sans aucun visa des parlementaires européens, ni recours en justice, vous avez une petite idée des enjeux du contentieux TAFTA.
Pour régler ces litiges, les États-Unis (Amérique du Nord, Territoire indien occupé) proposent le recours à l’arbitrage : on écarte la justice de droit commun et ses garanties pour s’en remettre à une justice privée, l’Investor-state dispute settlement (ISDS), à composer intuitu personnae pour chaque affaire. C’est dire que l’on demande aux Etats de se priver du recours à la justice, pour que leurs choix souverains soient réexaminés par une forme de justice privée, selon des compositions ad hoc pour chaque affaire.
- Mais, c’est la loi de la jungle ?
- Oui, tout à fait.
Ce 16 septembre, la Commission européenne a enfin répondu, en prenant position pour le recours à une justice de type droit commun, avec la création d’un tribunal de première instance composé de quinze juges et un tribunal d’appel composé de six juges.
Cecilia Malmström, la commissaire européenne en charge du dossier, explique : « Nous proposons un nouveau système qui s'apparente à une cour de justice, une nouvelle cour avec des juges qualifiés, qui seront nommées par l'Union européenne. Nous devons mettre en place les mêmes éléments que ceux qui permettent aux citoyens de faire confiance à leurs tribunaux ».
Le système est objectivement intéressant, avec le recours à des juges professionnels nommés pour six ans, une inscription dans le droit commun, et est une double juridiction avec un tribunal et une cour d’appel.
L’article 2.1 on prévoit que l’accord TAFTA ne remet pas en cause le droit des Etats à conduire dans leur territoire des politiques qu’ils apprécient l’intérêt, notamment pour la protection de la santé, la sécurité, l’environnement, le droit social, la protection des consommateurs ou la protection de la diversité culturelle.
Selon l’article 9.4, les juges devront posséder les qualifications pourvoir être magistrats dans leur pays. Ils devront disposer d’une expertise en droit international public et spécialement droit international de l’investissement, droit international du commerce et en pratique du contentieux.
Selon l’article 13, le tribunal aura recours aux principes généraux d’interprétation du droit international, par application de la Convention de Vienne sur les Traités.
J’aurais souhaité que le texte proposé par la Commission fasse davantage référence aux principes du droit international, qui sont une vertu pour s’opposer délices et travers de la justice privée, et bloquer les appétits des gros investisseurs. Mais à partir du moment où nous aurons une juridiction permanente, avec des magistrats professionnels nommés pour une durée, les méthodes et les jugements s’inscriront nécessairement dans les canons du droit international.
Cette proposition de la Commission est donc une étape significative, et nous allons suivre de près les réactions des États-Unis. Il reste à poursuivre les démarches auprès de la Commission pour blinder la reconnaissance des grands principes de la justice internationale. C'est une condition essentielle, et qui sera refusée par les US, ces US qui refusent toute forme de justice internationale,... donc une belle occasion de dégager ce TAFTA.