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Soudain, cet été...

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/07/2014

Soudain, cet été... Un miracle à reproduire, à généraliser.

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C'est une grande mode, durant les vacances, de traiter de sujets que l'année responsable et sérieuse jugerait inutiles, dérisoires ou frivoles.

Mais il y a aussi, pendant cette parenthèse de loisir et de repos, la volonté de certains médias d'offrir à leurs lecteurs une échappée, une suspension, une halte, comme une autre respiration.

Ainsi Le Figaro a choisi de nous intéresser à une série sur "l'écriture, une histoire de famille" qui n'est pas à tout coup passionnante mais qui surtout est sans danger pour le quotidien lui-même.

Ce qui n'est pas le cas du défi que Le Monde s'est lancé à lui-même. En effet, ce journal qui ne nous a jamais donné l'habitude d'une introspection, d'une remise en cause, voire d'une repentance va, avec "Le jour où...", décliné son histoire autour de quelques séquences fondamentales, de portraits de certaines de ses personnalités emblématiques, de moments forts ou dévastateurs ayant marqué le cours de cette publication.

Aussi irremplaçable qu'elle est parfois contestable.

Aussi nécessaire au quotidien, comme un ami agaçant, une familiarité désirée mais à chaque lecture menacée, qu'elle vous fait regretter souvent d'être une drogue, de constituer une addiction dont on ne peut se défaire. De vous enfermer dans une dépendance ici délicieuse, là insupportable.

Pour ma part je vis mal quand je n'ai pas eu de quoi me nourrir, m'énerver l'esprit en tenant entre mes mains ces pages qui suscitent, c'est selon, colère, indignation, adhésion, estime, admiration, qui nourrissent la contradiction ou appellent l'approbation, qui sont imprégnées de snobisme sociétal ou culturel ou pétries d'intelligence et de lucidité politique.

Il me semble que cet effort sur soi qu'accomplit, soudain cet été, Le Monde sur lui-même n'est pas mince et mérite d'être salué comme il convient.

Ces noms, Hubert Beuve-Méry, Pierre Viansson-Ponté, Raymond Barrillon, entre autres, qui renvoient à la jeunesse, qui constituent une douce et ferme sollicitation pour se replonger dans un temps où l'information avait du prix et du sens, où la déontologie était sacrée et l'intégrité indispensable. Où ce quotidien, contre vents et marées, était respecté même par ceux qui en récusaient l'esprit et les partis pris.

J'avoue mon saisissement quand, au milieu des épisodes narrés par les plumes talentueuses d'Ariane Chemin et de Raphaëlle Bacqué, j'ai vu ressurgir le scandale de la tragédie cambodgienne, l'aval initial concédé aux Khmers rouges et la triste dérive idéologique de Patrice de Beer.

Sans doute la part la plus sombre, la plus honteuse de cette épopée médiatique faite du meilleur et du pire, qui a façonné nos pensées en même temps qu'elle les a contraintes, en permanence, à une suspicion critique.

Même s'il était inconcevable qu'on exclût ce désastre d'une telle série, il fallait tout de même avoir du courage, de l'honnêteté et de la mémoire pour relater ainsi ce qui est demeuré, dans la tête de beaucoup de lecteurs, comme une intolérable offense à la vérité, à l'humanité.

Je ne sais quand "Le jour où..." se terminera mais si j'avais un voeu à formuler, ce serait celui-ci.

Que Le Monde n'attende pas des années pour déplorer ses dérives ou ses bonheurs d'aujourd'hui, pour dénoncer l'élitisme pompeux et hermétique du Monde des livres ou son obsession de paraître toujours accordé au fil du temps, pour réfléchir sur sa pratique, questionner ses préjugés et se demander pourquoi, pour certains, il est devenu de moins en moins irremplaçable, de plus en plus contestable.

Tous les médias devraient se contraindre à cet examen de conscience, ce qui reviendrait aussi à octroyer aux réactions des lecteurs une place bien plus considérable que celle qui leur est dévolue aujourd'hui.

Cette vigilance de tous les instants ne serait pas de trop pour les sortir de cette facilité qui, les faisant mépriser des prétendus moutons noirs comme Closer, les persuade trop aisément de leur perfection et de leur honorabilité.

Soudain, cet été...

Un miracle à reproduire, à généraliser.


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