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Jean Roucas serait-il bébête ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 1/11/2015

La politique est partout. Elle se cache, rôde et dénature. Elle imprègne, gangrène, élève, dégrade les esprits et les objectivités. dans l'univers médiatique et artistique, rares sont ceux qui échappent à son poison. Le tout est de ne pas le faire savoir. Jean Roucas a été vraiment bébête !

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Loin de moi le désir d'accabler encore davantage Jean Roucas qui depuis l'été 2013 et deux tweets plus stupides que provocateurs connaît une disgrâce dont il se plaint aujourd'hui.

D'emblée, pour prévenir les grincheux qui méprisent les sujets apparemment superficiels et un univers qu'au fond ils envient, je voudrais leur remettre en mémoire cette phrase d'Henry de Montherlant : "celui qui abaisse, c'est qu'il est bas" et leur rappeler Marcel Proust pour qui rien n'est dérisoire, tout dépend du regard qu'on porte.

Jean Roucas a affirmé en effet que "quand on est un humoriste et qui plus est chansonnier, on ne doit pas afficher ses convictions politiques, c'est une erreur déontologique".

Lors de l'université d'été du FN, Jean Roucas avait rejoint ce parti en déclarant notamment que ce dernier "réunit des gens qui souffrent", ce qui est vrai mais malheureusement, en France, il n'a pas l'exclusivité de ce désespoir militant. D'autres partis en ont leur part mais s'en préoccupent moins ou ne l'exploitent pas.

Jean Roucas n'est pas "un intellectuel". Pour une fois, Gilbert Collard, en le qualifiant ainsi, a été aimable sans être lucide.

Roucas a seulement été une personnalité du rire - je suis resté toujours allergique à son humour - qui a commis une double imprudence et manqué de mémoire.

La première a été en effet "d'afficher ses convictions", de les proclamer et, dans l'instant, d'en avoir été fier.

La seconde, elle a été décisive, a été de se tromper de parti. Pourtant Roucas avait le choix. Entre les communistes, le Front de gauche, EELV ou sa branche dissidente, LR, l'UDI ou le MoDem, il aurait pu arbitrer et s'attirer le respect médiatique s'il avait opté pour la gauche et l'extrême gauche et en tout cas moins d'hostilité s'il avait fait don de sa personne à la droite classique.

Mais le FN, non, ce n'était pas possible ! Pour un artiste même de seconde zone, il avait violé le tabou fondamental. Le seul point commun entre les intelligences et la culture dites progressistes et les amuseurs conservateurs (s'il en existe) est le passage obligé par la dénonciation du FN. Confortable, sans risque et très payante !

Et il a oublié que deux bévues de cette sorte sont irrémédiables. On n'est presque plus rien, on est ostracisé, jeté en enfer par ces étranges juges que sont les médias qui déclarent la culpabilité des autres mais en s'épargnant toujours eux-mêmes.

Il aurait dû se rappeler le sort peu enviable de certains chanteurs et acteurs, parmi lesquels certains n'étaient pas médiocres - je songe notamment à Christian Clavier - qui ont durement payé le fait d'avoir bénéficié de l'amitié de Nicolas Sarkozy et, le comble, d'avoir eu le culot de la lui rendre.

Beaucoup sans doute considèrent que ce qui est arrivé à Jean Roucas est bien fait pour lui.

Il n'empêche que pour ne s'être jamais démasqués sur les tréteaux publics mais d'avoir eu l'habileté quotidienne, parfois avec talent, d'insinuer et de militer à leur manière dans leurs prestations médiatiques, certains humoristes se sont engagés et servent ostensiblement la cause de la gauche et sa vision sociale et intellectuelle. Ils ne sont pas idiots et ne vont pas le clamer mais c'est un fait. Sophia Aram et Stéphane Guillon, par exemple, ne nous laissent jamais ignorer à quel camp ils appartiennent. Le président de la République, qui s'y connaît, les invite à sa table (Le Monde).

Même l'excellent François Rollin s'est piqué un jour, alors qu'on ne lui demandait rien, de se lancer dans un dithyrambe de Christiane Taubira sur France Inter.

Jean Roucas, lui, a choisi le mauvais cheval et en plus il l'a exhibé.

Il serait intéressant de se servir de sa déconfiture pour élargir le débat. Et de s'attacher à la pratique de ces journalistes prétendument impartiaux et objectifs mais clairement ancrés dans un registre de gauche convenue après avoir déjà bu à des sources extrêmes dans la même mouvance. Pour être honnête, la droite médiatique n'est pas non plus à l'abri, chez certains de ses représentants, de l'accusation de les avoir trop gouvernés.

Je pourrais en citer quelques-uns à l'appui de ma perception mais j'aime bien m'en tenir, pour le journalisme de gauche (pas encore un pléonasme !), à Patrick Cohen, indiscutablement orienté mais vif et acide. Récemment il a curieusement défini l'objectivité en la chargeant de "compléter les réponses" de ses invités.

Dans son débat avec Frédéric Taddéï, j'avais évidemment pris le parti de ce dernier tant le journaliste justicier n'est pas mon genre et que je préfère le professionnel au service du pluralisme. Jusqu'à la loi.

Je ne peux pas m'empêcher cependant d'éprouver à l'égard de Patrick Cohen une reconnaissance certaine car je me souviens avec volupté du soir où il avait fait sortir du studio Claude Askolovitch avec lequel j'étais censé avoir un débat et qui ne me laissait pas parler.

La politique est partout. Elle se cache, rôde et dénature. Elle imprègne, gangrène, élève, dégrade les esprits, les lucidités et la bonne foi. Dans l'univers médiatique et artistique, rares sont ceux qui échappent à son poison.

Le tout est de ne pas le faire savoir.

Jean Roucas a été vraiment bébête !


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