Patrick Buisson rend-il ce qu'on lui prête ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 14/03/2012
Il est le diable pour beaucoup, l'intelligence perverse tapie dans l'ombre, l'homme qui n'a pas été trop au net avec les sondages de l'Elysée à un certain moment du quinquennat. La personne qui, dans son passé, a pactisé avec l'extrême droite et été journaliste à Minute. Cette information, dieu sait qu'elle lui a été ressassée et on est heureux, pour les anciens communistes et trotskistes, qu'ils n'aient pas eu droit au même traitement ! Pour lui, la mémoire était nécessaire mais pas pour les autres, comprenne qui pourra. Mon ami Robert Ménard s'est toujours battu contre cette discrimination médiatique mais on sait avec quelle mauvaise foi il a été accueilli !
Depuis 2007, Patrick Buisson (PB) rend-il par son influence et son action auprès du président puis du candidat renouvelé ce qu'on lui prête généreusement, souvent avec malignité ? Comment apprécier à sa juste valeur un rôle d'éminence grise avant que les Français aient tranché le 6 mai puisqu'il est probable que Nicolas Sarkozy sera dans le duo final ? Battu, PB aura eu tort. Réélu, il aura eu raison.
Ce n'est pas d'aujourd'hui, avec l'entretien passionnant paru dans Le Monde, que j'attache un vif intérêt à la personnalité et aux analyses de PB. En effet, lorsqu'il participait, avec d'autres, aux côtés de Michel Field sur LCI à "Politiquement Show", on ne pouvait qu'être impressionné par la qualité intellectuelle et la roideur d'esprit du personnage qui, depuis son départ, n'a jamais été remplacé avantageusement. Michel Field dont je me plais à souligner que, meilleur interviewer politique, il a vertu rare de ne pas éluder les interrogations précisément parce qu'elles sont nécessaires et difficiles : on l'a encore remarqué dans son dialogue avec Nicolas Sarkozy sur l'Etat si peu irréprochable depuis 2007 (TF1).
L'entretien que PB a accordé au Monde, questionné par deux journalistes, est très révélateur de la psychologie du "Conseiller opinion" de l'Elysée. Son approche politique ne se caractérise pas par la souplesse et l'adaptation. Il suit une ligne qu'il soutient et défend avec brio, persiste dans une logique qui, pour lui, a fait ses preuves et démontrerait encore aujourd'hui, par comparaison entre les tendances lourdes et l'évolution sondagière des principaux candidats, sa pertinence. Notamment par cette volonté ostensiblement affichée et proclamée par le sortant de parler pour le peuple oublié et de placer l'immigration au centre du débat public.
Je résume des échanges riches parsemés de formules qui font mouche, notamment celle-ci : "Le vote en faveur de la candidate du FN n'est plus un vote de protestation mais un vote d'immolation".
Il me semble tout de même que l'inspiration de PB, dont il est clair qu'elle gouverne la campagne de Nicolas Sarkozy, se fonde sur trois paris.
Le premier, que l'opinion ne perçoive pas comme un décalque du FN ce qui se passe depuis le début de cette année. Asséché avec talent en 2007, il est plus fort que jamais maintenant. Le discours présidentiel d'aujourd'hui, se droitisant exprès à l'extrême, ne donne-t-il pas au contraire une vigueur accrue à un projet qu'il prétend combattre, rendre inutile en l'adoptant ? La campagne, pourtant, comme l'Histoire, ne repasse pas les mêmes plats.
Le deuxième, que le bilan global du quinquennat, la pratique de l'Etat et l'être même de Nicolas Sarkozy pèsent si peu que ce dernier puisse, comme si de rien n'était, entonner un chant d'espoir. Comme si le candidat n'avait pas le président derrière lui.
Le dernier, que le talent indéniable du "champion" de PB soit tel qu'il parvienne à faire passer une machine à manipuler pour une démarche de conviction et de spontanéité. PB a confectionné le costume. Comment le président-candidat va-t-il le présenter? Toutes les retouches ont-elles été faites ou ne traîne-t-il pas, ici ou là, quelques fils oubliés, des coutures trop apparentes n'ont-elles pas été négligées ?
PB, aussi, n'a qu'une obsession: nous faire prendre de l'ancien pour du neuf. On verra bien.