Que reste-t-il de la propriété dans l’environnement numérique aujourd’hui ?
:: S.I.Lex :: - calimaq, 15/06/2012
Jeudi 14 juin, j’étais au Salon i-Expo 2012 pour animer un atelier que j’avais choisi de faire porter sur la thématique de l’évolution de la propriété dans l’environnement numérique, en demandant à Hubert Guillaud (InternetActu/FING), Michèle Battisti (ADBS/Paralipomènes) et Benjamin Jean (Inno3/Veni, Vedi Libri) d’apporter leurs points de vue. Merci à eux d’avoir accepté l’invitation !
Voici l’argument que j’avais proposé pour cet atelier, suivi des quatre présentations des intervenants. La séance s’est avérée dense et riche, à tel point qu’il y aurait sans doute de la matière pour organiser tout un colloque sur un tel sujet.
***
L’idée de cet atelier est née du sentiment que nous vivons un moment paradoxal.
L’institution sociale qu’est la propriété n’a certainement jamais été aussi développée, sophistiquée et protégée. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les formes de propriété immatérielle ou “incorporelle”, comme le dit le Code de Propriété Intellectuelle. La protection de cette propriété n’a jamais été aussi puissante, que ce soit en termes de durée (passage bientôt de la durée des droits voisins d’interprète et de producteur de 50 à 70 ans), de sanctions, ou d’étendue. La propriété sur l’immatériel se décline en de multiples branches : droits d’auteur, droits voisins, droit des bases de données, droit des marques, droit des brevets, droits des dessins et modèles, droit des topographies des semi-conducteurs, droit des obtentions végétales, etc. Ce raffinement permet à certains acteurs de chercher à s’approprier les choses plus improbables : le nombre Pi, les positions du yoga, des os de dinosaures, la couleur magenta, le chant des oiseaux et bien d’autres choses plus incongrues encore ! Cette course à l’appropriation déclenche dans le domaine industrielles des guerres farouches, à tel point que l’on a pu dire que l’apparence du dernier né des smartphones de Samsung, le Galaxy SIII, avait été conçue autant par des avocats que par des designers, afin d’éviter les poursuites d’Apple !
Pourtant, d’un autre côté, l’environnement numérique exerce à l’évidence une action corrosive sur la notion de propriété. C’est bien entendu l’effet des moyens technologiques, qui offrent des facilités de diffusion et de diffusion des contenus sans précédent, avec en toile de fond le problème de partage/piratage que cela soulève. Mais ce n’est pas sous cet angle que j’ai voulu concevoir cet atelier. J’ai plutôt voulu cibler l’expérience même des internautes et des consommateurs, dans leur rapport avec la propriété des contenus. numériques En effet, alors même que le passage de la rareté des contenus à leur abondance semble mettre à notre portée en clic une richesse inégalée de biens immatériels, la propriété que nous pouvons revendiquer sur eux semble se déliter et se dissoudre graduellement. A l’heure du streaming, du cloud computing, de la mobilité, des DRM, des licences d’utilisation, des CGU, que reste-t-il vraiment de la propriété dans l’environnement numérique ?
L’affaire @ThomasMonopoly l’année dernière a mis brutalement en lumière le caractère fragile, sinon illusoire, de la propriété dont nous bénéficions sur les éléments essentiels de nos vies numériques. Cet utilisateur, qui avait choisi de confier l’essentiel de ses contenus aux services en ligne de Google (Gmail, Picasa, Google Docs, Youtube, etc), avait subitement été “rayé de la carte numérique” lorsque la firme de Mountain View a supprimé son compte Google pour une raison inexpliquée. On semble donc très loin de ce “droit inviolable et sacré” que consacre la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen à son article 16. La propriété numérique devient chose relative, toujours matinée d’une forme de “co-propriété”et sans commune mesure avec “l’usus, fructus et abusus” qui depuis la Rome antique structure pourtant notre conception du sujet.
Mais pour autant, faut-il nécessairement voir cette évolution de la propriété comme une menace et ne doit-on pas la mettre en balance avec le formidable enrichissement de l’accès et des usages qu’offre l’environnement numérique ? Ne sommes-nous pas imprégnés et formatés par un paradigme de la propriété des objets matériels, qui nous empêche de percevoir les mutations initiées par le numérique ? Un certain “lâcher-prise” n’est-il pas consubstantiel à la condition de l’homo numericus ?
Pour mieux cerner les évolutions de la propriété dans l’environnement numérique, j’ai invité trois spécialistes à nous parler de sujets particuliers, qui me semblaient illustrer ce passage à des formes de propriété relative. C’est le cas pour les livres numériques par exemple, alors que l’attachement à la propriété des supports était traditionnellement très forte dans ce domaine. Le développement du cloud computing induit également une nouvelle forme de propriété dans les nuages, moins assurée. Les réseaux et médias sociaux drainent des masses de contenus générés par leurs utilisateurs, sur lesquels ils s’arrogent des formes subtiles de propriété, par le biais de leurs conditions d’utilisation. Des évolutions encore en gestation, comme l’impression 3D, laissent enfin entrevoir un moment où le numérique pourra redéfinir la définition même de propriété des objets physiques.
***
La propriété des livres numériques a-t-elle encore un sens ?
Hubert Guillaud, Rédacteur en chef d’InternetActu, responsable de la veille à la Fing, Fing (Fondation Internet Nouvelle Génération)
Cloud computing : la propriété dans les nuages
Michèle Battisti, Veille sur le droit de l’information, ADBS
Les réseaux sociaux et la propriété fantôme des contenus
Lionel Maurel, Conservateur, Auteur du blog S.I.Lex , BNF
L’impression 3D : prochaine révolution de la propriété ?
Benjamin Jean, Président Inno³ SAS , Consultant au cabinet Gilles Vercken
Classé dans:Penser le droit d'auteur autrement ... Tagged: CGU, cloud computing, droit d'auteur, iExpo, impression 3D, livres numériques, propriété, Propriété intellectuelle, réseaux sociaux