Sarah Halimi : une affaire française ou israélienne ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/07/2017
Le 5 juin 2017, le Figaro Vox publiait ma contribution sur "l'affaire Sarah Halimi" qui venait non pas en contradiction mais en complément de l'appel d'un certain nombre d'intellectuels réclamant une justice plus rapide pour ce meurtre, selon eux clairement antisémite.
Le 4 avril 2017 à 4 heures du matin, au deuxième étage d'une HLM du 11ème arrondissement de Paris, Kobili Traoré a roué de coups puis défenestré Sarah Halimi, une voisine qui n'avait pas cessé, depuis des semaines, de subir insultes, menaces et violences sans que la police apparemment alertée soit intervenue (Marianne).
A entendre, selon les témoins, les cris du mis en cause et ses références, le caractère antisémite du crime ne semblait pas faire de doute. Son état délirant le faisait immédiatement hospitaliser d'office.
Le 10 juillet il était mis en examen pour homicide volontaire mais sans la circonstance aggravante d'antisémitisme. Le juge des libertés et de la détention le plaçait sous mandat de dépôt mais toujours dans une structure d'hospitalisation.
Kobili Traoré aurait nié avoir eu des motivations antisémites.
Je n'aurais rien eu à ajouter à ma tribune du 5 juin si à l'occasion de la visite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour l'anniversaire des 75 ans de la rafle du Vel d'Hiv, certains de ses propos et de ceux du président de la République - pour ne pas évoquer le président du CRIF ayant abordé le même thème - ne m'avaient pas conduit à considérer que cette tragédie dont l'instruction était confiée à la Justice se trouvait "relancée" d'une étrange manière.
Le Premier ministre israélien y a fait allusion en demandant que toute la lumière soit faite sur elle. Pourtant, pour être juive, la victime était française et concernait exclusivement la justice de notre pays. Je n'ose imaginer ce qui se serait produit si contrairement à ses excellents principes Emmanuel Macron s'était mêlé à l'étranger, notamment en Israël, d'une procédure concernant une ressortissante française avec des conseils qui auraient pu être jugés déplacés. Ou bien faut-il considérer que toute victime juive en France autorise une autorité étrangère à s'en préoccuper ?
Le plus grave est que le président de la République , par une sorte d'entraînement regrettable, est encore allé plus loin. Il n'avait sans doute pas assez à faire avec la responsabilité qu'il a imputée à la France, dans la suite de Jacques Chirac, pour la rafle du Vel d'Hiv et cette imputabilité renouvelée n'a pas fait l'unanimité.
Le président a proféré que "malgré les dénégations du meurtrier, la justice doit faire désormais toute la clarté sur la mort de Sarah Halimi". Ce qui est imprudent et surtout inapproprié de la part du garant absolu de la Justice française. Quelle surprenante démarche que celle qui rentre dans le détail et enjoint de tenir pour rien des "dénégations" ! Et cet adverbe "désormais" ! Comme si la clarté n'avait pas été, et d'emblée, la principale préoccupation des enquêteurs et des magistrats ! Je n'ose songer au tintamarre médiatico-politique qui se serait produit si Nicolas Sarkozy avait commis la même immixtion ! (Le Figaro).
Le président du CRIF est resté dans la même veine.
Le paradoxe est que cette affaire dont on déplorait, sans doute à juste titre, qu'on en ait trop peu parlé est devenue à force, abusivement, une affaire d'Etat qui, ne faisant pas confiance à la Justice, se mêle de ce qui pourtant la regarde seule et inscrit ce drame dans une configuration sociale et politique qui incite à négliger l'état de droit et ses règles.
On saura dans les prochaines semaines si le mis en examen Kobili Traoré était responsable pénalement lors du crime odieux qu'il a perpétré. S'il était déclaré irresponsable, ce ne serait pas son absolution mais le respect d'un principe fondamental. On aurait le droit d'y songer même dans l'effervescence politique, historique et compassionnelle de ces moments solennels.
Sur un autre plan, alors que pour les affaires politico-financières importantes, le citoyen dispose parfois, par l'entremise des médias, de procès-verbaux pourtant couverts par le secret de l'enquête et de l'instruction, je suis étonné que nous n'ayons pas eu droit à des éclaircissements qui, nécessaires et honorables, nous auraient expliqué et justifié la démarche du parquet compétent lors de l'ouverture de l'information.
L'antisémitisme pour l'instant récusé reste en travers des consciences. Une réponse nous apaiserait et nous rassurerait.