Les Robespierre de la vertu des autres
Justice au singulier - philippe.bilger, 9/09/2014
C'était prévisible.
Un livre indécent a mis à mal l'image présidentielle et le pouvoir socialiste. Il fallait que par compensation on exploitât cette triste affaire fiscale jusqu'à plus soif !
Le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur Thomas Thévenoud n'a duré que huit jours. Il n'avait pas déclaré ses revenus durant trois ans et même s'il a régularisé en payant les pénalités qui convenaient, à mon sens, s'il n'était pas au sens propre un fraudeur, il était bien plus qu'un "contribuable négligent".
Il est normal donc qu'on l'ait blâmé, que force condamnations morales à droite et à gauche l'aient accablé, qu'il ait dû abandonner sa haute fonction d'autant plus que dans son activité antérieure il s'était souvent trouvé en position de donneur parlementaire de leçons. Le hiatus a fait justement mauvais genre !
Il ne sera plus au Parti socialiste mais il gardera son siège de député. Contrairement à beaucoup, cela ne me choque pas. Ses compagnons socialistes ne veulent plus de lui, certes, mais la députation relève d'un pacte entre une personnalité et ses électeurs. Si ceux-ci le moment venu ne souhaitent plus sa présence à l'Assemblée nationale, ils le feront savoir sans ambiguïté.
Je doute, d'ailleurs, de cette rigueur, tant, dans notre espace démocratique, l'éthique malmenée, le sulfureux, voire les condamnations non seulement n'ont jamais affecté une carrière politique mais semblent au contraire étrangement l'honorer. C'est un scandale mais c'est comme ça. Le peuple préfère, quand il arbitre, l'efficacité à la morale.
L'épouse de Thomas Thévenoud, chef de cabinet à la Présidence du Sénat, a été mise en congé sans traitement de manière légèrement anticipée. S'il n'est pas démontré que celle-ci a en connaissance de cause participé à la négligence, à l'occultation, cette sanction indirecte incriminant, comme dans les temps anciens, le couple plutôt que le seul responsable constitue une odieuse régression dont personne ne devrait être fier.
Aucune procédure n'a été engagée contre l'éphémère secrétaire d'Etat et ne le sera apparemment. C'est aussi à relever.
Surtout, j'ai tendance à considérer que cette ébullition outrancière, maintenant démesurée - Thomas Thévenoud n'est tout de même pas l'alpha et l'oméga de notre France en perdition - constitue une bienfaisante dérivation pour un gouvernement qui n'a pas été capable, avec tous les moyens officiels et officieux de contrôle dont il dispose, de rejeter en amont la mauvaise herbe ministérielle. Nous avons eu Cahuzac, sur le mode gravissime, et Thomas Thévenoud est une illustration, dans un registre à la fois signifiant et grotesque, de cette incurie gouvernementale. Sans doute à tort, je déteste ceux qui laissent tomber au fond du trou pour s'émouvoir ensuite et s'indigner trop tard.
Derrière cette effervescence qui donne bonne conscience à une classe politique qui bien sûr, à l'exception de quelques brebis galeuses, est impeccable et irréprochable !, je devine les justiciers de pacotille et en chambre, les Robespierre de la vertu des autres. Même légitime, dès lors qu'il tourne au lynchage, à la chasse à l'homme, l'opprobre me répugne. Il y a des procès qui à force font peur.
Cette tentation de l'intégrisme confortable et totalitaire - l'homme, la femme, pourquoi pas les enfants demain ? - est si communément admise et pratiquée que je veux rendre hommage au député socialiste Bernard Roman qui avec bon sens a défendu son collègue et au lucide et libre journaliste qu'est Jérôme Béglé (lepoint.fr) qui a dénoncé une dérive honteuse.
S'il y a des Robespierre au petit pied, il y a heureusement aussi des avocats d'autant plus sincères et convaincants que ce n'est pas leur métier.