Le président doit-il avoir ses frondeurs ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 17/04/2018
Une bonne nouvelle. Le grand corps parlementaire de LREM bouge, il est vivant, il s'émeut, il s'oppose, il hésite, il approuve. Il a décidé d'exister et c'est heureux pour tout le monde.
Richard Ferrand et Christophe Castaner, à propos de l'attitude à adopter face au projet de loi "asile et immigration" défendu par Gérard Collomb, ont fixé la ligne rouge : s'abstenir serait "un péché véniel", voter contre lui, un "péché mortel" (Huffington Post).
Tentant de faire preuve d'empathie à l'égard d'une minorité réservée, voire hostile à ce texte pourtant excellent et équilibré, j'ai tendance à l'excuser parce qu'elle continue de prendre au pied de la lettre la part de gauche que le candidat Macron avait annoncée durant sa campagne et qu'elle est peut-être surprise au cours de cette première année de constater que le président tire fortement à droite. Au fond ce groupe a un peu de mémoire et souhaite rappeler au chef de l'Etat ses engagements initiaux et complexes de dépassement ou de synthèse (Le Figaro).
Je me réjouis que pour l'instant, sans les trahir, face au réel, il privilégie son "cerveau de droite" non seulement pour l'asile et l'immigration mais aussi dans la sphère économique et sociale. Au point qu'actuellement nous sommes enclins - séduits en plus par le talent et le courage qui sont les siens - à préférer la droite de Macron à celle que Laurent Wauquiez peine à remettre debout et à faire penser autrement.
Que la minorité aspirant à être dissidente dans LREM ne se laisse pas gangrener par les idées reçues qui installeraient l'humanisme forcément à gauche alors que la réalité, si on veut correctement l'appréhender, appelle et exige cette démocratie vigoureuse tenant les deux bouts d'une chaîne qui va de la nécessaire sévérité à une humanité souhaitable.
Qu'elle n'ajoute pas sa voix à toutes celles - associations, médias orientés, intellectuels pensant toujours d'un seul côté, Défenseur des droits - visant à faire croire qu'elles représenteraient une majorité républicaine alors qu'elles ne sont que les exceptions systématiques affectant des dispositions à la fois répressives et humaines acceptées par beaucoup.
En même temps je voudrais rassurer les inquiets du parti dominant en leur demandant de relever avec moi qu'Emmanuel Macron n'est pas complètement passé avec armes, bagages et résolution, de l'autre côté.
Je le regrette puisque cette tonalité de gauche qui demeure imprègne, au sens large, le régalien, notamment - malgré quelques îlots de bon sens - sa vision de la Justice et du monde pénitentiaire, et sa philosophie du vivre ensemble risquant le lénifiant.
Tous ceux qui rêvent de ne pas le voir quitter les rivages du progressisme convenu seront comblés par ce registre qui semble être la compensation le consolant de ce qu'il est contraint de concéder pour une large part, ailleurs, au réalisme et à la lucidité sans fard. En Emmanuel Macron, la pensée de gauche aura toujours une place parce qu'intellectuel de haut niveau, il lui laissera l'espace abstraitement généreux que ses intérêts dominants et pragmatiques ne le conduisent pas à occuper.
Cette faiblesse du président - comme si, grand seigneur, il avait envie de laisser encore un peu de grain à moudre à la droite classique avant que peut-être un jour l'union des droites vienne à son tour bouleverser la donne - devrait être exploitée au plus vite par Laurent Wauquiez et son équipe qui ne parviennent pas à imprimer quoi que ce soit de tangible et de différent dans la tête de nos concitoyens.
J'entends bien que le positionnement du président les gêne mais ils semblent même incapables de profiter de ses béances, de ses lacunes. Qu'ils ne se leurrent pas : ils ne pourront l'accomplir que si, d'abord, ils font preuve d'intelligence et d'invention. Que s'ils jouent sur un terrain qu'Emmanuel Macron a déserté ou qu'il aborde de manière trop sulpicienne. Ce domaine est fondamental, en plus, pour la société française qui a des peurs, des angoisses et des espérances qu'on ne peut laisser en l'état sur le bord du chemin démocratique.
Mais de grâce que Laurent Wauquiez cesse cette antienne, cette critique même plus offensante tant elle est absurde, sur un président qui en gros ne saurait pas ce qu'est la France comme si notre pays n'était pas assez grand pour se renforcer avec le président de LR et s'enrichir avec le président de la République ! Comme si celui-ci devait être exilé alors que la France l'a voulu et élu !
Mon titre interrogatif renvoie à une comparaison avec le quinquennat de François Hollande qui a un peu pâti de l'opposition constante de ses frondeurs qui lui reprochaient de ne plus être assez à gauche ou même de ne plus l'être.
Que les frondeurs possibles d'Emmanuel Macron soient plus raisonnables !