Le lien hypertexte, un enjeu pour la presse
Paralipomènes - Michèle Battisti, 25/01/2013
Article écrit le 13 décembre 2012 pour la revue Documentaliste-Sciences de l’information.
Le lien hypertexte ne serait plus libre pour tous. On sentait bien poindre çà et là des tentatives en ce sens ; voilà qui est porté à présent clairement aussi dans le champ politique.
A la fin de l’été 2012, on apprenait que le gouvernement allemand avait adopté un projet de loi [1] obligeant Google à payer pour le référencement des articles de presse et que d’autres pays suivraient.
De nouvelles lois ?
En France, un projet de proposition de loi, remis au ministre de la Culture par l’association de la presse IPG [2], ferait bénéficier les organismes de presse d’un droit voisin. A ce titre, ils percevraient une redevance[3] en échange de l’abandon de la faculté d’interdire un lien vers leurs articles. Les sommes à verser, selon des barèmes définis par une commission mixte, calculées en fonction du « comportement des internautes à l’égard des liens » vers la presse, seraient collectées par une société de gestion collective.
Le système, calqué sur celui de la copie privée et de la diffusion de la musique du commerce par les radios, deux exemples de licences légales, évite de demander une autorisation pour chaque utilisation. Le calcul sera établi pour les liens réalisés pendant une durée de 5 ans après la date de publication de l’article. Au-delà de cette période le lien sera libre pour tous.
Un recours au droit d’auteur ?
En Allemagne, on s’est appuyé sur la reproduction partielle des articles, quelques lignes découlant de l’indexation par les moteurs pour revendiquer des droits auprès des moteurs. En France, en imaginant un droit voisin associé à la création, aurait-on retenu que le lien simple ne donne pas lieu à un droit d’auteur [4] ? C’est un droit voisin qui, depuis 1985, permet aux producteurs de sons et d’images de disposer d’un droit sur « la reproduction, la mise à disposition au public par la vente, l’échange ou la location, ou la communication au public » de leurs supports.
Mais pourquoi un droit voisin supplémentaire, à l’heure où il aurait été opportun de simplifier les règles ? Les journalistes ne revendiquent-ils pas d’ailleurs déjà un reversement d’une partie de la redevance au titre de leurs droits d’auteur ?
Qui va payer ?
En Allemagne, la presse allemande songeait à faire payer les entreprises pour les articles lus sur internet dans un cadre professionnel. Au Royaume-Uni, des tribunaux s’étaient appuyés sur les interdictions de proposer des liens à des fins commerciales figurant dans les conditions générales d’utilisation (CGU) des sites pour sanctionner l’agrégateur de presse Meltwater dans un procès porté aujourd’hui devant la Cour Suprême. Au Canada, des universités avaient accepté de payer par contrat pour des envois par messagerie de liens « équivalent à des photocopies ».
Dans la proposition française ne seraient tenus de verser la redevance que « les prestataires de services de référencement ou l’exploitant d’un moteur de recherche dont la fourniture de liens représente une activité lucrative principale, qu’elle soit proposée à titre payant ou gratuit, même par un hébergeur, sans rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des liens hypertextes ». C’est le cas de Google, le premier visé, d’autres aussi sans doute, mais pas « les portails ni les blogs » pour lesquels le lien reste libre.
Le lien sous l’œil européen
Très attendu sera l’avis donné par la Cour de justice de l’Union européenne à propos d’un procès suédois [5] portant les résultats de la recherche obtenus par abonnement à un moteur de recherche, qui répondra à quatre questions :
- Faire un lien est-ce une communication au public (soit un des deux droits patrimoniaux de l’auteur) ?
- La faculté de faire un lien peut-elle être limitée (par une interdiction pour des fins commerciales, par exemple) ?
- Doit-on faire une distinction entre l’ouverture dans autre fenêtre et l’apparition sur le même site (framing) ?
- Un pays membre de l’Union peut-il décider d’élargir le droit de communication au public au-delà de ce qui est autorisé par la directive européenne 2001 sur le droit d’auteur ?
L’enjeu : Financer la presse
Google n’héberge pas les contenus, mais tirerait profit de la presse sans y investir. Si, pour Google, la contrepartie se trouve dans le trafic qu’il a créé et le pourcentage reversé sur la publicité, la presse considère que cela est insuffisant et proche du parasitisme. L’action aurait pu d’ailleurs se faire le plan de l’agissement parasitaire et non sur celle du droit d’auteur, mais cela semblait plus compliqué.
Un déréférencement de la presse par les moteurs, en réaction, comme en Belgique après une condamnation par les juges, mettrait la presse d’un pays à l’écart. Au Brésil, pourtant, la presse a décidé de se passer de Google Actualités, et de s’aligner sur le modèle du New-York Times (accès libre pour quelques articles / mois, payant ensuite).
Par ailleurs, si « la taxe » devait être instaurée, la presse française ne serait-elle pas liée à une manne Google, argument relevé par le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) qui, au nom de la liberté de la presse, s’oppose cette « taxe » ?
Qui va financer ? Google, pour continuer à référencer des articles de presse librement accessibles et alimenter ses propres services (publicité, datamining, …) ? Les publicitaires, par les annonces sur les sites de presse ? L’utilisateur qui voudra accéder à ses titres préférés, au-delà d’un seuil d’article fixé par chaque entreprise de presse ? Une « contribution créative » en fonction de la fréquentation du site et du taux de partage des contenus ? Un mix de tous ces éléments ? Ou est-ce à la presse traditionnelle de s’adapter à la nouvelle donne en créant, à l’image des « pure players », « une valeur avec la publicité, des coûts de production optimisés et des activités de service » ?
Google, on le sait, est habitué à négocier. En ce qui concerne le partage des revenus générés au profit de Google par la presse française, un médiateur du gouvernement doit trouver une solution en cette fin d’année 2012 [6]. Le lien restera-t-il libre pour tous ?
Ill. Day 283/365. My life as a magazine. Tiago Ribeiro. Fotopedia. CC by
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Notes
[1] Le projet de loi n’a pas encore été examiné par le Parlement allemand.
[2] Association IPG (d’intérêt politique et général) soutenue par trois syndicats de presse.
[3] Redevance: prélèvement non obligatoire payé par l’usager d’un service ; taxe : prélèvement obligatoire sans que le montant soit lié au coût du service.
[4] Pour le Forum des droits sur l’internet, dans une recommandation datant de 2003, »le lien n’est qu’un « chemin », notion fondant la liberté de se déplacer sur le web », qui » a pour conséquence sa neutralité au regard des législations auxquelles il peut être confronté. »
[5] Nils Svensson, Sten Sjögren, Madelaine Sahlman, Pia Gadd c/ Retreiver Sverige AB (Cas C-466/12). Demande de décision préjudicielle déposée le 18 octobre 201. Site de la Cour de justice européenne
[6] Le rapport du médiateur, a-t-on appris ensuite, était repoussé à la fin du mois de janvier 2013 .