Améliorer NosDéputés.fr n’est possible qu’avec l’aide de l’Assemblée nationale ! Lettre aux questeurs
Regards Citoyens - fmassot, 4/08/2017
Nous reproduisons ici la lettre envoyée le 4 août aux Questeurs de l’Assemblée nationale suite à la rencontre qu’ils nous avaient proposée. Elle est lisible dans son format original en pdf.
Chère Madame la Questeure Rossi, Chers Messieurs les Questeurs Bachelier et Solère,
Vous nous aviez proposé de nous rencontrer mardi soir dernier afin de discuter ensemble du site NosDéputés.fr. Nos premiers échanges téléphoniques avec vous et vos collaborateurs nous avaient laissé penser que l’objectif de cette réunion serait de recueillir vos suggestions d’améliorations de notre site, dans le respect de son objet : un observatoire impartial et indépendant de l’activité parlementaire. C’est en ce sens que nous avions préparé un ensemble de propositions précises et concrètes. Elles nous semblent à la fois simples à mettre en œuvre et à même de remplir ce que nous avions imaginé être votre préoccupation, éminemment légitime à nos yeux, de voir mieux valorisées certaines activités parlementaires aujourd’hui peu visibles.
À notre profond regret, l’échange a pris la forme d’un « procès » de notre association et de la plateforme développée qui, pour reprendre des formulations exprimées mardi, serait un « système pervers », qui porterait le ferment d’un « antiparlementarisme » et contribuerait à la « valorisation des trolls parlementaires ». Nous ne voulons pas y voir une volonté des questeurs de l’Assemblée nationale de casser l’un des seuls instruments permettant de prendre la température de l’activité parlementaire dans sa diversité. Si nous comprenons parfaitement combien notre action et notre outil peuvent parfois gêner, ils ne sont pas conçus pour plaire ni pour déplaire mais pour retracer des éléments objectifs.
Dans le monde entier, des initiatives similaires existent et sont très largement reconnues comme nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire. C’est notamment le cas au sein de l’Assemblée nationale. Depuis la création de Regards Citoyens en 2009, notre association a toujours engagé un dialogue continu et constructif avec l’institution, avec les députés comme avec les administrateurs, avec la présidence comme avec les services techniques. Le plus souvent fructueux, ces différents échanges ont contribué au fil du temps à enrichir à la fois la transparence du Parlement, le site officiel de l’Assemblée et le nôtre :
- mise en œuvre des sanctions réglementaires inappliquées début 2010 ;
- diffusion des amendements de commission en format accessible en 2011 ;
- systématisation des listes d’auditionnés dans les rapports et établissement du registre enrichi des lobbyistes en 2013 ;
- mise à disposition en Open Data de la réserve parlementaire par nos soins en 2013, puis officiellement à partir de 2014 ;
- publication des noms de l’ensemble des votants sur les relevés de scrutins publics en 2014 ;
- ouverture de la plateforme Open Data de l’Assemblée en 2015 ;
- sans oublier la numérisation, avec l’aide de 8 000 citoyens, des données déclarées manuellement auprès de la HATVP en termes de lutte contre les conflits d’intérêts.
Si la teneur de cette réunion a quelque peu entamé notre enthousiasme, notre résolution à contribuer à la visibilité du travail parlementaire reste intacte. Nous souhaitons garder confiance en votre volonté d’entendre nos propositions, voulues le plus constructives possible. Ainsi que nous en avons convenu mardi, nous les détaillons donc dans la suite de ce courrier, que nous rendons par ailleurs public en toute transparence, comme nous le faisons systématiquement pour tous nos plaidoyers.
La présence en hémicycle et les délégations de vote
À défaut d’un pointage des présents en hémicycle assuré par l’institution, NosDéputés.fr a toujours clairement explicité n’indiquer que la participation, et non la présence, aux travaux en séance plénière. Nos membres s’agacent tout comme vous de lire parfois, sur la toile ou dans différents médias, que certains députés n’auraient jamais mis les pieds à l’Assemblée en s’appuyant sur notre site. Il suffirait pourtant aux auteurs de ces bêtises de prendre quelques secondes pour lire les explications accessibles en un clic et comprendre leur méprise.
Nous proposons depuis 2010 une solution techniquement très simple pour remédier à cela : la transparence des délégations de vote, c’est-à-dire expliciter sur le relevé de chaque scrutin public et solennel lorsqu’un votant absent a chargé un autre député présent de porter son vote. Cette transparence, qui est la norme dans la plupart des parlements modernes, permettrait de prendre enfin en compte les scrutins électroniques comme sources d’information sur la présence en hémicycle, comme nous le demandent régulièrement de très nombreux anciens et nouveaux députés depuis près de huit ans.
Le fonctionnement des délégations est déjà informatisé en amont des séances et intégré au mécanisme de scrutin électronique, de sorte que lorsqu’un député vote depuis l’hémicycle, le vote de son éventuel délégant est immédiatement et automatiquement intégré au décompte du scrutin. Ainsi, comme nous l’ont confirmé de nombreux interlocuteurs au sein des services de l’Assemblée, aucun obstacle technique n’empêche l’application d’une telle mesure dans le processus de publication des scrutins.
Il s’agit d’un souhait du Président de Rugy lui-même, qui a porté et obtenu en 2014 l’adoption en commission d’un amendement prévoyant cette transparence à l’occasion de la réforme du règlement. Cette disposition avait malheureusement été supprimée en hémicycle, à l’initiative du groupe radical. Ce groupe s’est farouchement opposé, durant l’ensemble de la précédente législature, à toute démarche en faveur de plus de transparence et de renouveau de la vie politique. Ce positionnement politique a été fermement réaffirmé mardi soir, lors de notre rencontre, par l’ancien secrétaire général de ce groupe, nommé depuis collaborateur de M. Bachelier, qui a revendiqué la paternité de l’amendement anti de Rugy, et a répété les mêmes arguments fallacieux auxquels nous avons déjà longuement répondu.
Il est ainsi erroné d’affirmer que la publicité des délégations de vote porterait atteinte à la vie privée des parlementaires. Bien évidemment, cette mesure ne vise aucunement à rendre publics les motifs des excuses fournies par les parlementaires pour déléguer leur droit de vote. Il s’agit simplement de rendre public l’usage de la délégation de vote d’un député absent en faveur d’un député présent. Regards Citoyens s’est en effet toujours montré extrêmement attentif au respect de la vie privée de chacun et a fortiori de celle des parlementaires : lors des débats sur les lois Cahuzac, nous nous sommes ainsi opposés à la publication, même limitée, des patrimoines.
Il est également faux de prétendre que les délégations de vote n’auraient plus cours pour les scrutins publics et seraient réservées aux seuls scrutins solennels. L’usage des délégations a toujours été strictement encadré par les articles 62 du règlement et 13 1° de l’Instruction Générale du Bureau en application de l’ordonnance n° 58-1066. Néanmoins, entre 1989 (année de la suppression par le Président Seguin du scrutin de groupe qui est anticonstitutionnel mais toujours en vigueur au Sénat) et 2014, les groupes politiques organisaient abusivement l’usage systématique des délégations de leurs membres. Les groupes disposaient en permanence d’une délégation pour chaque membre du groupe, en totale violation du règlement.
Lorsqu’en 2014, le Président Bartolone a souhaité répondre à notre demande de publicité des noms des votants sur les relevés de scrutin public, il a également pris l’engagement d’assurer désormais une application stricte du mécanisme de contrôle des délégations, et ainsi faire respecter à la lettre le règlement de l’Assemblée. Depuis lors, l’usage des délégations s’est vu très fortement réduit en dehors des scrutins solennels. Cependant, il reste toujours prévu par le règlement et seule la transparence des délégations pourra garantir qu’un votant est effectivement présent en hémicycle lors d’un scrutin public.
Nous attirons votre attention sur l’importance d’accompagner la modification de l’Instruction Générale du Bureau par la publication de l’historique des délégations, en complétant les relevés des scrutins publics déjà réalisés depuis le début de la législature. Cela sera essentiel pour préserver une certaine cohérence de l’information et éviter toute mésinterprétation d’un basculement artificiel d’activité en cours de législature.
Le manque de publicité de certains travaux
Afin de pouvoir mieux refléter l’investissement des parlementaires lors de l’ensemble des missions d’information, d’application ou de contrôle, des auditions organisées par les rapporteurs, ou encore des réunions d’organes essentiels comme le Bureau ou la Questure, il serait très simple de publier au Journal Officiel les relevés de présences des parlementaires à ces travaux.
En effet, les réunions des commissions et de certains comités, offices et délégations font déjà l’objet d’un tel relevé de présences publié au Journal Officiel. À titre d’exemple, le Journal Officiel du 21 juillet 2017 détaille les relevés de présences de sept réunions de commissions, alors que plusieurs d’entre elles n’ont pas fait l’objet de feuille d’émargement ni même de compte-rendu.
La pratique des feuilles d’émargement n’est en vigueur que le mercredi matin afin de permettre aux services de l’Assemblée de mettre en œuvre les sanctions financières encourues par les parlementaires en cas d’absences répétées à ces réunions. Mais les administrateurs relèvent les parlementaires présents à la plupart des réunions et assurent la publication quotidienne de ces relevés au Journal Officiel. Il serait donc très simple et peu chronophage pour les administrateurs de systématiser cette pratique dès lors qu’ils sont sollicités pour une audition ou une réunion.
La publication de ces éléments pour toutes les réunions relevant des missions parlementaires prévues par la Constitution, la loi organique de 1958 et le règlement de l’Assemblée nationale permettrait de rendre visible une plus large palette des modalités d’intervention des parlementaires.
Concernant la publication de l’agenda individuel de tel ou tel député, nous vous en félicitons et encourageons naturellement ces pratiques transparentes. Ces données n’auront cependant pas vocation à être intégrées directement au sein de NosDéputés.fr, tant que ces pratiques ne seront pas systématiques, officielles et sous un format uniforme pour l’ensemble des députés. Elles mélangent par ailleurs des activités très diverses, pas nécessairement liées aux missions constitutionnelles des parlementaires. C’est en revanche un outil très utile et un important gage de confiance qui vient parfaitement compléter l’ensemble des sources d’information sur les activités publiques des élus. N’hésitez pas à en signaler le lien (URL) aux services de l’Assemblée afin qu’ils puissent l’ajouter à la liste de vos sites. Nous serons ravis de le voir alors apparaître également pour les visiteurs de NosDéputés.fr.
L’opacité de la questure
Comme pour les auditions des commissions ou les réunions du Bureau, il nous semblerait utile que les citoyens puissent être informés des activités de la questure, qui reste parmi les organismes les plus opaques de l’Assemblée. Un simple relevé de décisions à l’image des compte-rendus des réunions du Bureau constituerait d’ores et déjà un important progrès. En complément, un simple relevé par un administrateur des députés participant à chaque réunion, et sa publication dans le flux quotidien du Journal Officiel, suffiraient là encore à offrir une plus grande visibilité à ce travail.
Le fonctionnement budgétaire et financier reste par ailleurs totalement inaccessible : alors que c’est un document central qui régit l’ensemble de l’activité financière de l’Assemblée, l’accès au Réglement budgétaire comptable et financier de l’Assemblée nationale est refusé tant aux députés ne participant pas aux réunions du Bureau qu’au déontologue. Il est bien sûr également refusé à tout citoyen.
Il en va de même pour les documents comptables de l’Assemblée dont seul un résumé très succinct est publié, et seulement depuis 2014.
Comme formulé à l’oral lors de notre rencontre, nous réitérons donc avec ce courrier une demande officielle de communication du « Réglement budgétaire comptable et financier de l’Assemblée nationale » en vigueur en mai 2017, qui nous a déjà été refusé par le service des Archives de l’Assemblée nationale. Alors que vous préparerez prochainement « des propositions sur les nouvelles modalités de prise en charge des frais de mandat », un premier gage de confiance pourrait être tout simplement de rendre public le document régissant le fonctionnement actuel de l’indemnité représentative de frais de mandat.
Madame Rossi, Messieurs Bachelier et Solère, voici donc les propositions simples que nous portons pour permettre à NosDéputés.fr de mieux refléter un certain nombre d’activités parlementaires aujourd’hui peu transparentes. Nous ne pouvons que vous encourager à les mettre en œuvre. Nous restons naturellement à l’écoute de toutes suggestions complémentaires, dès lors qu’elles reposent sur une source officielle, mise à jour, et commune à l’ensemble des parlementaires.
Le président de Rugy a déclaré le week-end dernier au Journal du Dimanche que « l’opacité nourrit l’antiparlementarisme et les fantasmes ». Nous partageons ce constat. Si nous essayons à notre modeste mesure de bénévoles d’œuvrer à réduire les quelques zones d’opacité qui subsistent encore au sein du Parlement, vous seuls, aidés de vos collègues, le pouvez concrètement.
Avec nos respectueux hommages, nous vous prions d’agréer, Madame et Messieurs les questeurs, l’expression de notre considération distinguée.
Regards Citoyens