Un grave attentat législatif contre la langue française ?
Actualités du droit - Gilles Devers, 22/05/2013
Oh la furie ! L’heure est grave… ils sont même allés chercher Papy Pivot ! C’est que la loi s’apprête à commettre un crime : des cours en anglais à la fac ! Ca les a mis en furie… Alors, faut-il mieux en rire… ou en pleurer ?
Ce que dit le Code de l’éducation
La base, c’est l’article L. 121-3, projeté dans le Code par la loi nº 94-665 du 4 août 1994, dite Loi Toubon.
« I. - La maîtrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l'enseignement.
« II. - La langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l'enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères, ou lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers ».
Voilà. La fac française, c’est camembert pur sucre. 60 millions de Français et 6 milliards d’êtres humains… Mais protégés par ce préservatif pour temps de guerre, on ne craint rien et on va gagner derrière nos frontières.
C’est là que vient l’attentat. Le projet de loi sur l’enseignement supérieur envisage d’ajouter :
« Des exceptions peuvent également être justifiées par la nature de certains enseignements lorsque ceux-ci sont dispensés pour la mise en œuvre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l'article L. 123-7 ou dans le cadre d'un programme européen. »
L’article L. 123-7 pose les vastes objectifs de l’enseignement supérieur qui « contribue, au sein de la communauté scientifique et culturelle internationale, au débat des idées, au progrès de la recherche et à la rencontre des cultures ». Dans ce cadre, les établissements peuvent passer des accords avec les institutions d'enseignement supérieur d’autres Etats.
Vive la coopération internationale… mais en français ! Très drôle.
Le projet de loi permet donc de dépasser ce blocage, en autorisant la langue étrangère pour les enseignements nés d’un accord international. Voilà, c’est tout, et c’est un minimum minimaliste…
Et là, ils se sont déchaînés
C’est parti dans tous les sens. Côté PD, le député socialiste et secrétaire national à la francophonie au sein du PS, Pouria Amirshahi, demande le retrait de cet article qui représente selon eux un danger pour l'espace francophone. Côté UMP, le député-maire du Touquet Daniel Fasquelle déclare qu’il fait « se battre pour promouvoir le français et ne pas accepter une forme de capitulation ou de colonisation absolument incroyable ». Et tant d’autres…
La ministre Geneviève Fioraso a aussitôt entrepris un très hollandais rétropédalage pour dire que ça concernerait 1% des cours. Or, le chiffre est connu : environ 10% des enseignements sont délivrés en anglais, avec parfois des taux très élevés en troisième cycle. C’est dire que la loi Toubon est percée comme un panier, et que la loi Fioraso, pas encore votée, l’est déjà.
L’anglais, c’est fait, et c’est très bien
La recherche et les publications scientifiques en anglais, c’est fait. En sciences dures, on est à du quasi 100%, et dans les sciences humaines, c’est nettement majoritaire. Dans les sciences juridiques, l’anglais est très avancé, pour les publications et pour les congrès. Si on est en terre française ou espagnole, l’accueil se fait dans la langue du coin, mais l’anglais est toujours là. Et celui qui ne parle pas anglais se retrouve dans le bac à sable ou à la buvette, c’est immanquable. Je ne sais pas dans quel monde vivent les dirigeants politiques qui s’époumonent sur le sujet.
Les exemples sont tellement nombreux. Tiens, pas exemple, nos amis chinois nous invitent à publier dans la Beiging Law Review… Wahou, les Chinois terrassés par l’impérialisme US… Laissez-moi rire ! Et quand un Arabe (Moyen-Orient), un Russe et un Français, se rencontre lors d’un congrès, ils se parlent en quelle langue, d’après-vous ?
Parler et écrire l’anglais, c’est le meilleur moyen de faire connaître la recherche française, et, couplé avec l’ami Internet, cela nous des horizons fantastiques pour faire connaitre nos façons de penser, et comprendre celle des autres. Pas plus compliqué : vous publiez un texte en anglais, il est susceptible d’être lu dans toute la planète. Et là, tu commences à te faire des amis, que tu inviteras dans ta fac.
Je regrette donc vivement qu’il n’y ait pas plus de pratique directe de l’anglais. A l’Université, il faut bien sûr développer l’anglais pour les troisièmes cycles, mais il faut aussi l’enseigner en direct dès les premières années, car la pratique manque beaucoup, beaucoup, beaucoup trop.
Bref, je suis consterné par ces réactions, mais c’est je crois le signe d’erreur d’une erreur plus grave. L’idée que le France connait « une crise », comme un mauvais moment à passer, avant que tout revienne comme avant. Ce mot de « crise » est totalement inadapté. C’est un monde nouveau qui se dessine, et il faut mieux avoir les yeux ouverts.
Tiens, vous avez vu où va être construit le plus grand aéroport du monde (Six pistes)? A Istanbul. Et on y parlera turc… et anglais.