Vers un contrôle des armes moderne et simplifié pour l’industrie de la défense
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent Xavier Simonel, 21/08/2013
Un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif vient d’être mis en place en France par la publication du décret n° 2013-700 du 30 juillet 2013, pris en application de la loi n° 2012-304 du 6 mars 2012 ayant un tel contrôle pour objet. Le nouveau dispositif entrera en vigueur le 6 septembre 2013.
Décret n° 2013-700 du 30 juillet 2013
Loi n° 2012-304 du 6 mars 2012
En dépit d’une profonde réforme en 1995, les fondamentaux de ce contrôle remontait à avril 1939, à une époque où l’ennemi était frontalier et parfaitement identifié et où le ministre de la défense nationale était aussi celui de la guerre aux côtés d’un ministre de la marine et d’un ministre de l’air. Aujourd’hui, la multiplication des acteurs non-étatiques hostiles et des postures asymétriques qui opposent les Etats à des individus bouleverse la nature des menaces et des risques et impose un traitement intégré des enjeux de défense et de sécurité aux deux plans combinés de l’intérieur et de l’extérieur.
Un regret, d’abord.
La nouveauté du dispositif est réservée à la police administrative des armes vue sous l’angle de la sécurité intérieure : le nouveau texte est largement plus destiné aux missions du ministère de l’intérieur qu’à celles du ministère de la défense. Alors qu’étaient attendues la modernisation et la rationalisation des processus portant sur la fabrication et le commerce des matériels de guerre, armes et munitions, il faut constater que le chapitre III du décret du 30 juillet 2013 se borne à reproduire les rédactions des articles 6, 9 à 15 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 relatif à l’application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions pourtant abrogés. Les incertitudes ouvertes par ces rédactions demeurent intactes et, avec elles, leurs enjeux économiques.
Que recouvrent exactement les activités « d’intermédiaires » ou « d’agents de publicité », qui doivent être ou autorisées ou contrôlées par l’Etat (art. 74, dernier alinéa du décret de juillet 2013 reproduisant l’ancien article 6 du décret de mai 1995) ?
La seule notification d’un marché public portant sur du matériel de guerre de catégorie A emporte-t-elle de plein droit et de manière alternative octroi d’une autorisation de fabriquer ou de faire commerce de ce matériel
(« AFC »), comme le suggère l’article 75-VI du décret de juillet 2013 (ancien article 9-VII du décret de mai 1995), qui se limite à soumettre ce titulaire aux seules obligations de contrôle pesant sur le détenteur de l’AFC ? Ou bien, très différemment, la qualité de titulaire d’un marché portant sur du matériel de guerre ne dispense-t-elle pas, pour autant, du respect cumulatif des règles d’octroi, notamment de détention capitalistique et de gouvernance, fixées à l’article 75-II-b) et c) du décret de juillet 2013 (reprenant l’ancien article 9-II-b) et c) du décret de mai 1995) ?
Dans le premier cas, les vérifications sur l’identité et l’origine des dirigeants, les garanties d’approvisionnement et les autres facteurs de nature à influer sur la protection des intérêts de sécurité de l’Etat, sont faites lors du processus de sélection des candidatures et des offres. L’attributaire est désigné non seulement parce que son offre est économiquement la plus avantageuse mais aussi parce qu’il satisfait aux attentes publiques en matière de sécurité et de sûreté. Les règles de la commande publique priment sur le régime de police administrative.
L’AFC peut bénéficier à un opérateur étranger, même extérieur à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen, s’il est retenu comme titulaire d’un marché public dont la passation a été initialement ouverte à ce type d’opérateurs.
Dans le second cas, très différemment, le dispositif prévu à l’article 75-VI du décret de juillet 2013 ne poursuit que le but pratique de dispenser l’Etat d’accorder une AFC spécifique au titulaire du marché mais n’a aucun effet dérogatoire quant au respect des règles commandant l’octroi de l’AFC qui sont d’application absolue.
Tant l’observation de la pratique que de nombreuses raisons de droit militent pour retenir la première lecture, la titularité d’un marché public de défense valant de plein droit octroi d’une autorisation de fabrication et de commerce. Face à l’importance de l’enjeu et compte tenu d’un débat toujours possible, il n’y aurait eu que des avantages à clarifier la règle, tant elle est déterminante pour la décision par les opérateurs économiques de participer ou non à la mise en concurrence pour l’attribution des marchés de défense et, donc, pour l’intensité concurrentielle et l’efficacité de leur passation.
Enfin, à quel moment doit intervenir le ministre de la défense en cas de cession des titres d’une société qui emporte modification des circonstances prises en considération pour l’octroi initiale d’une AFC à cette société et comment prévoir le fait juridique déclencheur de l’entrée en vigueur de la cession (art. 80 du décret de juillet 2013, reprenant l’ancien article 14 du décret de mai 1995) ?
Las ! Le décret de juillet 2013 ne lève aucune des incertitudes du texte de mai 1995. Les seules évolutions qui séparent les deux décrets ne portent que sur le remplacement de la Communauté européenne par l’Union européenne et sur la correction par l’article 75-V du texte de 2013 d’une grossière erreur de référence interne qui affectait l’article 9-VI du précédent lorsqu’il renvoyait à certains de ses paragraphes … qui n’existaient pas. Souhaitables amendements mais bien insuffisants pour ne pas ouvrir sur une grande insatisfaction.
Il faut espérer que la modernisation et l’amélioration des parties du décret de juillet 2013 propres aux opérations industrielles de la défense interviennent bientôt et qu’elles soient menées en écoutant aussi les points de vue des opérateurs économiques concernés.
Le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale prévoit une habilitation du gouvernement à prendre par ordonnances les mesures législatives permettant, en particulier, d’adapter la partie législative du code de la défense pour prendre en compte la loi citée plus haut n° 2012-304 qui a fixé le nouveau régime du contrôle des armes. Il faut, probablement, y voir l’annonce du paquet « défense » attendu pour la complétude, législative puis réglementaire, de la réforme entamée par le décret de juillet 2013.
Une simplification, cependant.
Quatre catégories se substituent aux sept précédentes.
La catégorie A recouvre les matériels de guerre ainsi que les armes de poing ou d’épaule à répétition, d’extrême dangerosité et létalité, définies par le décret de 2013 selon une nomenclature simplifiée, plus englobante et modernisée. Il est interdit de les acquérir ou de les détenir .
Cette catégorie renvoie au régime de fabrication et de commercialisation intéressant, au premier chef, les industries de défense.
La catégorie B relève du régime de l’autorisation et réunit la plupart des armes à feu de poing et certaines armes à feu d’épaule ainsi que les armes à impulsion électrique les plus puissantes et les générateurs d’aérosols incapacitants ou lacrymogènes de plus de 100 millilitres. Les armes à feu d’épaule y sont classées en fonction de leur dangerosité élevée (répétition du tir jusqu’à 31 coups sans réapprovisionnement ou calibres importants).
La catégorie C, soumise au régime de la déclaration, rassemble les armes à feu d’épaule ne permettant pas le tir par rafale et à répétition jusqu’à 11 coups ou à canon rayé (dont certaines armes de chasse) ainsi que les armes de type flash ball à balles en caoutchouc.
La catégorie D intègre les armes soumises à l’enregistrement (armes à feu d’épaule à canon lisse tirant un coup par canon) et celles dont l’acquisition et la détention sont libres, comme les poignards et les matraques, les générateurs d’aérosols incapacitants ou lacrymogènes de moins de 100 millilitres, les armes anciennes et les fusils à air comprimé (dont l’on observe qu’ils peuvent être détenus dès l’âge de neuf ans moyennant autorisation parentale).
Enfin, on regrettera, incidemment, que la révision du décret de 1995 n’ait pas permis de gommer l’impropre référence à l’Etat français que faisait son article 22-2. En dépit d’un triple impératif juridique, politique et historique, affirmé par l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, le second alinéa de l’article 5 du décret de juillet 2013 cède à la critiquable facilité trop ambiante et n’a pas su s’inspirer de la sagesse de la rédaction de son article 4, qui juste au dessus mentionne avec exactitude l’Etat tout court.
Peut-on, une fois encore, rappeler que la notion d’Etat français résulte exclusivement de l’acte dit « loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 » dont la nullité a été constatée par l’article 4 de l’ordonnance de 1944. Cette notion ne peut faire référence qu’à « l'autorité de fait qui s'est imposée à la France » ou à « l'autorité de fait se disant ‘gouvernement de l'Etat français’ » au sens de l’exposé des motifs et de l’article 7 de cette ordonnance?
Il faut souhaiter que les rédacteurs de la modification à venir du décret de juillet 2013, nécessaire pour en faire un instrument moderne de conciliation entre les contraintes de sécurité et les objectifs de la commande publique en matière de défense, ne laisseront pas passer l’occasion de cette correction que dictent le droit et l’histoire (voir KPratique sur l’Etat français du 1er juin 2011 ).
Loi n° 2012-304 du 6 mars 2012
En dépit d’une profonde réforme en 1995, les fondamentaux de ce contrôle remontait à avril 1939, à une époque où l’ennemi était frontalier et parfaitement identifié et où le ministre de la défense nationale était aussi celui de la guerre aux côtés d’un ministre de la marine et d’un ministre de l’air. Aujourd’hui, la multiplication des acteurs non-étatiques hostiles et des postures asymétriques qui opposent les Etats à des individus bouleverse la nature des menaces et des risques et impose un traitement intégré des enjeux de défense et de sécurité aux deux plans combinés de l’intérieur et de l’extérieur.
Un regret, d’abord.
La nouveauté du dispositif est réservée à la police administrative des armes vue sous l’angle de la sécurité intérieure : le nouveau texte est largement plus destiné aux missions du ministère de l’intérieur qu’à celles du ministère de la défense. Alors qu’étaient attendues la modernisation et la rationalisation des processus portant sur la fabrication et le commerce des matériels de guerre, armes et munitions, il faut constater que le chapitre III du décret du 30 juillet 2013 se borne à reproduire les rédactions des articles 6, 9 à 15 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 relatif à l’application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions pourtant abrogés. Les incertitudes ouvertes par ces rédactions demeurent intactes et, avec elles, leurs enjeux économiques.
Que recouvrent exactement les activités « d’intermédiaires » ou « d’agents de publicité », qui doivent être ou autorisées ou contrôlées par l’Etat (art. 74, dernier alinéa du décret de juillet 2013 reproduisant l’ancien article 6 du décret de mai 1995) ?
La seule notification d’un marché public portant sur du matériel de guerre de catégorie A emporte-t-elle de plein droit et de manière alternative octroi d’une autorisation de fabriquer ou de faire commerce de ce matériel
(« AFC »), comme le suggère l’article 75-VI du décret de juillet 2013 (ancien article 9-VII du décret de mai 1995), qui se limite à soumettre ce titulaire aux seules obligations de contrôle pesant sur le détenteur de l’AFC ? Ou bien, très différemment, la qualité de titulaire d’un marché portant sur du matériel de guerre ne dispense-t-elle pas, pour autant, du respect cumulatif des règles d’octroi, notamment de détention capitalistique et de gouvernance, fixées à l’article 75-II-b) et c) du décret de juillet 2013 (reprenant l’ancien article 9-II-b) et c) du décret de mai 1995) ?
Dans le premier cas, les vérifications sur l’identité et l’origine des dirigeants, les garanties d’approvisionnement et les autres facteurs de nature à influer sur la protection des intérêts de sécurité de l’Etat, sont faites lors du processus de sélection des candidatures et des offres. L’attributaire est désigné non seulement parce que son offre est économiquement la plus avantageuse mais aussi parce qu’il satisfait aux attentes publiques en matière de sécurité et de sûreté. Les règles de la commande publique priment sur le régime de police administrative.
L’AFC peut bénéficier à un opérateur étranger, même extérieur à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen, s’il est retenu comme titulaire d’un marché public dont la passation a été initialement ouverte à ce type d’opérateurs.
Dans le second cas, très différemment, le dispositif prévu à l’article 75-VI du décret de juillet 2013 ne poursuit que le but pratique de dispenser l’Etat d’accorder une AFC spécifique au titulaire du marché mais n’a aucun effet dérogatoire quant au respect des règles commandant l’octroi de l’AFC qui sont d’application absolue.
Tant l’observation de la pratique que de nombreuses raisons de droit militent pour retenir la première lecture, la titularité d’un marché public de défense valant de plein droit octroi d’une autorisation de fabrication et de commerce. Face à l’importance de l’enjeu et compte tenu d’un débat toujours possible, il n’y aurait eu que des avantages à clarifier la règle, tant elle est déterminante pour la décision par les opérateurs économiques de participer ou non à la mise en concurrence pour l’attribution des marchés de défense et, donc, pour l’intensité concurrentielle et l’efficacité de leur passation.
Enfin, à quel moment doit intervenir le ministre de la défense en cas de cession des titres d’une société qui emporte modification des circonstances prises en considération pour l’octroi initiale d’une AFC à cette société et comment prévoir le fait juridique déclencheur de l’entrée en vigueur de la cession (art. 80 du décret de juillet 2013, reprenant l’ancien article 14 du décret de mai 1995) ?
Las ! Le décret de juillet 2013 ne lève aucune des incertitudes du texte de mai 1995. Les seules évolutions qui séparent les deux décrets ne portent que sur le remplacement de la Communauté européenne par l’Union européenne et sur la correction par l’article 75-V du texte de 2013 d’une grossière erreur de référence interne qui affectait l’article 9-VI du précédent lorsqu’il renvoyait à certains de ses paragraphes … qui n’existaient pas. Souhaitables amendements mais bien insuffisants pour ne pas ouvrir sur une grande insatisfaction.
Il faut espérer que la modernisation et l’amélioration des parties du décret de juillet 2013 propres aux opérations industrielles de la défense interviennent bientôt et qu’elles soient menées en écoutant aussi les points de vue des opérateurs économiques concernés.
Le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale prévoit une habilitation du gouvernement à prendre par ordonnances les mesures législatives permettant, en particulier, d’adapter la partie législative du code de la défense pour prendre en compte la loi citée plus haut n° 2012-304 qui a fixé le nouveau régime du contrôle des armes. Il faut, probablement, y voir l’annonce du paquet « défense » attendu pour la complétude, législative puis réglementaire, de la réforme entamée par le décret de juillet 2013.
Une simplification, cependant.
Quatre catégories se substituent aux sept précédentes.
La catégorie A recouvre les matériels de guerre ainsi que les armes de poing ou d’épaule à répétition, d’extrême dangerosité et létalité, définies par le décret de 2013 selon une nomenclature simplifiée, plus englobante et modernisée. Il est interdit de les acquérir ou de les détenir .
Cette catégorie renvoie au régime de fabrication et de commercialisation intéressant, au premier chef, les industries de défense.
La catégorie B relève du régime de l’autorisation et réunit la plupart des armes à feu de poing et certaines armes à feu d’épaule ainsi que les armes à impulsion électrique les plus puissantes et les générateurs d’aérosols incapacitants ou lacrymogènes de plus de 100 millilitres. Les armes à feu d’épaule y sont classées en fonction de leur dangerosité élevée (répétition du tir jusqu’à 31 coups sans réapprovisionnement ou calibres importants).
La catégorie C, soumise au régime de la déclaration, rassemble les armes à feu d’épaule ne permettant pas le tir par rafale et à répétition jusqu’à 11 coups ou à canon rayé (dont certaines armes de chasse) ainsi que les armes de type flash ball à balles en caoutchouc.
La catégorie D intègre les armes soumises à l’enregistrement (armes à feu d’épaule à canon lisse tirant un coup par canon) et celles dont l’acquisition et la détention sont libres, comme les poignards et les matraques, les générateurs d’aérosols incapacitants ou lacrymogènes de moins de 100 millilitres, les armes anciennes et les fusils à air comprimé (dont l’on observe qu’ils peuvent être détenus dès l’âge de neuf ans moyennant autorisation parentale).
Enfin, on regrettera, incidemment, que la révision du décret de 1995 n’ait pas permis de gommer l’impropre référence à l’Etat français que faisait son article 22-2. En dépit d’un triple impératif juridique, politique et historique, affirmé par l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, le second alinéa de l’article 5 du décret de juillet 2013 cède à la critiquable facilité trop ambiante et n’a pas su s’inspirer de la sagesse de la rédaction de son article 4, qui juste au dessus mentionne avec exactitude l’Etat tout court.
Peut-on, une fois encore, rappeler que la notion d’Etat français résulte exclusivement de l’acte dit « loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 » dont la nullité a été constatée par l’article 4 de l’ordonnance de 1944. Cette notion ne peut faire référence qu’à « l'autorité de fait qui s'est imposée à la France » ou à « l'autorité de fait se disant ‘gouvernement de l'Etat français’ » au sens de l’exposé des motifs et de l’article 7 de cette ordonnance?
Il faut souhaiter que les rédacteurs de la modification à venir du décret de juillet 2013, nécessaire pour en faire un instrument moderne de conciliation entre les contraintes de sécurité et les objectifs de la commande publique en matière de défense, ne laisseront pas passer l’occasion de cette correction que dictent le droit et l’histoire (voir KPratique sur l’Etat français du 1er juin 2011 ).