Affaire Bonnemaison : La radiation confirmée par le Conseil d’Etat
Actualités du droit - Gilles Devers, 5/01/2015
On a beaucoup parlé de l’affaire Bonnemaison, et souvent avec difficulté, faut d’accès direct aux actes de la procédure. Voici enfin la première décision publiée, à savoir l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 décembre 2014 (n° 381245), dont la publication a été accompagnée d’un commentaire. En voici une synthèse objective, et souligne que cet arrêt correspond aux bases les plus établies du droit en la matière : si on est en désaccord avec la loi, on milite pour la faire changer, mais un médecin ne peut décider d’agri en contraction flagrante avec le cadre légal.
Dans le courant de l’année 2015, viendra le procès d’appel, au pénal.
Faits
A la suite du décès suspect de plusieurs patients au centre hospitalier de la Côte Basque, à Bayonne, des poursuites disciplinaires et pénales ont été engagées contre le docteur Nicolas Bonnemaison, soupçonné de leur avoir administré certaines substances ayant provoqué leur mort, en particulier un produit contenant du curare, le Norcuron.
Le 24 janvier 2013, la chambre disciplinaire régionale de l’ordre des médecins d’Aquitaine a radié du tableau de l’ordre des médecins M. Bonnemaison, estimant qu’il avait délibérément provoqué la mort de patients hospitalisés au centre hospitalier de la Côte Basque à Bayonne. Cette décision a été confirmée en appel le 15 avril 2014 par la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins.
En droit
Il résulte d’une part des dispositions combinées des articles L. 1110‑5, L. 1111-4 et R. 4127‑37 CSP que les actes de prévention, d’investigation et de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu’ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que la personne malade soit ou non en fin de vie. Lorsque celle-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d’arrêter un traitement au motif que sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable ne peut, s’agissant d’une mesure susceptible de mettre en danger la vie du patient, être prise par le médecin que dans le respect de la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et des règles de consultation fixées par le code de la santé publique. Il appartient au médecin, s’il prend une telle décision, de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.
Il résulte d’autre part du dernier alinéa de l’article L. 1110‑5 CSP que, afin d’assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort, le médecin peut appliquer à une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable « un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie » s’il constate qu’il ne peut soulager sa souffrance que par un tel traitement. Il alors en informer le malade, la personne de confiance mentionnée à l’article L.1111‑6, la famille ou, à défaut, un des proches, et inscrire la procédure suivie dans le dossier médical.
Si législateur a, par ces dispositions, entendu que ne saurait être imputé à une faute du médecin le décès d’un patient survenu sous l’effet d’un traitement administré parce qu’il était le seul moyen de soulager ses souffrances, il n’a pas entendu autoriser un médecin à provoquer délibérément le décès d’un patient en fin de vie par l’administration d’une substance létale. Une telle pratique demeure prohibée par l’article R. 4127‑38 du CSP : « Le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».
Analyse
Dès lors qu’elle a retenu que le médecin avait « à plusieurs reprises, provoqué délibérément la mort », la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins n’avait pas à tenir compte des circonstances que le praticien aurait agi dans le but de soulager la souffrance des patients et en concertation avec leurs familles, qui n’étaient pas de nature à enlever leur caractère fautif aux actes commis.
Au demeurant, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins n’a pas ignoré les déclarations du praticien selon lesquelles il avait agi dans le seul but de soulager la souffrance des patients, ni les pièces du dossier qui faisaient état, de façon d’ailleurs peu circonstanciée, d’échanges avec les familles d’une partie des patients accueillis dans son service.
Aussi, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins n’a entaché sa décision ni d’erreur de droit, ni d’erreur de qualification juridique en jugeant que les faits reprochés étaient constitutifs d’un manquement aux dispositions précitées de l’article R. 4127-38 du CSP et que cette faute justifiait une sanction.
Proportionnalité de la sanction
Le choix de la sanction relève de l’appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, mais il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise.
La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a pu légalement estimer que, en dépit du fait qu’il aurait agi dans le seul but de soulager la souffrance des patients et de la circonstance qu’il aurait, comme il le soutient, agi en concertation avec certaines des familles concernées, les actes commis justifiaient, eu égard à leur gravité, sa radiation du tableau de l’ordre des médecins.