Kerviel : l’avocat général s’oppose à la demande d’expertise formulée par la défense de l’ex-trader
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 13/11/2014
En annulant la condamnation civile de Jérôme Kerviel prononcée par la cour d'appel de Paris le 24 octobre 2012, la Cour de cassation a ouvert un passionnant débat. Les juges de Versailles désignés pour le procès civil auront en effet à déterminer la part de responsabilité de la Société générale dans les pertes qu'elle a subies du fait de la défaillance de ses contrôles qui ont rendu possibles les agissements de son ancien trader.
De ce débat, l'audience qui s'est tenue jeudi 13 novembre à Versailles a donné un avant-goût mitigé. Il opposait une fois de plus les avocats de la banque à la défense de Jérôme Kerviel qui sollicite une expertise indépendante sur le montant du préjudice retenu, 4, 9 milliards d'euros. La défense considère en effet que ces pertes n'ont pas fait l'objet d'une expertise indépendante et estime celle-ci nécessaire avant toute discussion sur le fond.
« Depuis sept ans, nous sommes dans un dossier où, pour la banque, il suffit de parler pour être crue. Traitons enfin ce dossier comme un dossier normal : quand on allègue, on prouve ! On n'est plus dans une affaire Kerviel, on est dans une affaire où on doit connaître les fautes de la Société générale », a lancé Me David Koubbi, l'avocat de Jérôme Kerviel, en appelant la cour d'appel de Versailles à saisir « l'occasion historique » qui lui est donnée de « faire la lumière » sur la responsabilité de la banque.
La difficulté vient du fait que le climat passionnel et le brouillard médiatique qui entourent cette affaire depuis des années pèsent sur l'examen rigoureux des faits. La banque ne veut rien céder sur le statut de victime que deux décisions de justice lui ont accordé en condamnant définitivement Jérôme Kerviel à cinq ans d'emprisonnement dont deux avec sursis pour abus de confiance, fraude informatique, faux et usage de faux. Quant à l'ancien trader, soutenu par une partie de l'opinion publique, il continue d'entretenir la confusion en refusant d'admettre sa responsabilité pénale.
« Elles sont nombreuses, ces fautes ! »
Il en a résulté à l'audience des échanges aigre-doux entre les deux parties, Me Koubbi multipliant les sous-entendus et les accusations de complaisance pour la banque des juges qui ont condamné Jérôme Kerviel, Me Jean Veil qualifiant pour sa part l'ancien trader de « repris de justice » et rejetant d'avance toute participation financière au coût d'une éventuelle expertise au motif que la Société générale « n'est pas une société de bienfaisance », ce dont nul n'a jamais douté.
Les avocats de la Société générale se sont donc opposés à cette demande d'expertise en considérant, comme l'a rappelé Me François Martineau, que le montant de 4, 9 milliards de pertes a été validé à la fois par les commissaires aux comptes, par la commission bancaire, puis par l'instruction et qu'une nouvelle expertise se heurterait à l'autorité de la chose jugée. Me Martineau a par ailleurs relevé que, pendant l'instruction, Jérôme Kerviel lui-même n'a jamais contesté le montant des pertes. Un avis partagé par l'avocat général Jean-Marie d'Huy, selon lequel les mesures d'expertise demandées par la défense « ne sont ni utiles, ni nécessaires » . « Toutes les réponses sont déjà dans le dossier et les arguments de Jérôme Kerviel ont été débattus contradictoirement », a-t-il observé.
Surtout, a insisté l'avocat général, « nul expert ne peut dicter à la cour le partage de responsabilité entre Jérôme Kerviel et la Société générale. Cela relève de l'appréciation souveraine des juges ». Or, comme l'a relevé Jean-Marie d'Huy, ceux-ci disposent, dans le dossier, de nombreux éléments leur permettant de mettre en cause la responsabilité civile de la banque. « La commission bancaire [qui a d'ores et déjà condamné la Société générale à 4 millions d'euros d'amende] a constaté les défaillances de la banque et les décrit très précisément. Et elles sont nombreuses, ces fautes ! Restons donc sur le sujet des fautes commises par la Société générale ! », a lancé l'avocat général en invitant les deux parties à ouvrir enfin un débat de fond dont l'enjeu citoyen dépasse largement leurs intérêts respectifs.
Délibéré le 16 janvier.