Filtrage : SoundCloud fait sa police du copyright
:: S.I.Lex :: - calimaq, 18/04/2013
SoundCloud, le service de partage de sons et de musiques en streaming, avait jusqu’à présent l’image d’une plateforme plutôt ouverte et innovante, avec son API largement disponible et la possibilité qu’il donnait à ses utilisateurs d’utiliser les licences Creative Commons. Cette image a cependant été sévèrement écornée ces derniers jours. Un changement de politique dans l’application du droit d’auteur a en effet provoqué une réaction virulente de la part des usagers.
Une pétition, « SoundCloud : change your copyright policy« , a été lancée par le DJ et producteur français, Stephan Hedfors. Il reproche à la nouvelle politique du site d’entraîner des retraits arbitraires de contenus originaux postés par des utilisateurs de bonne foi. En tant qu’utilisateur d’un compte premium proposé par SoundCloud à destination des professionnels, Hedfors estime que dans ces conditions la plateforme ne remplit plus les services qu’elle était censée lui rendre.
La pétition a déjà été signée par plus de 4000 personnes et le texte qui l’accompagne met également en avant le problème particulier que pose cette nouvelle politique vis-à-vis des mashups, remix et autres bootlegs qui abondent sur SoundCloud.
Traduction :
Soundcloud était un outil intéressant de promotion pour les musiciens. Malheureusement, avec leur nouvelle politique de droit d’auteur, même des contenus originaux peuvent être signalés comme des infractions au droit d’auteur et retiré du site, avec pour conséquence la fermeture des comptes des artistes.
Les bootlegs et mashups ne sont plus autorisés, en dépit du fait que ceux qui les font en les exploitent pas commercialement et que de grands artistes soutiennent cette pratique. [...]
Tout ce que nous voulons est que SoundCloud change cette politique, pour les utilisateurs avec un compte premium puissent bénéficier des services pour lesquels ils ont payé.
Nous voulons pouvoir disposer d’un vrai outil de promotion et pas seulement d’un site avec de jolis lecteurs exportables.
Ce qui s’est produit en réalité (et c’est là que les choses deviennent intéressantes), c’est que SoundCloud a mis en place un nouveau système de filtrage automatique des contenus de la plateforme, permettant aux titulaires de droits de charger des empreintes afin que leurs morceaux soient identifiés automatiquement. C’est ce qu’admet un des responsables du site, en réponse aux signataires de la pétition :
At SoundCloud we use a well-established and market leading third party content ID system to help identify and block known copyright works from appearing on our platform. Unfortunately, this sometimes has the unwanted consequence of blocking a sound uploaded by a legitimate rights holder. “
Our content ID system relies on rules set by rights holders, and will only block or remove a sound automatically if the rights holder, usually (in the case of music) a record label or distributor, has requested this when delivering their content into the content ID system. If a creator has permission to post his/her own content and their sound gets blocked, we have a clear and effective process to deal with this quickly and efficiently.
Ce système automatique de filtrage des contenus rappelle celui qui est utilisé par YouTube, qui lui permet de proposer aux titulaires de droits de monétiser des contenus au lieu de les retirer. Dénommé ContentID, ce dispositif constitue un des éléments clés de l’architecture de YouTube et j’avais déjà eu l’occasion d’étudier son fonctionnement, dans des billets consacrés à Gangnam Style ou au Harlem Shake.
La différence majeure entre YouTube et SoundCloud, c’est que ce dernier n’est sans doute pas en mesure de proposer un partage des recettes publicitaires aux titulaires de droits, puisque le site ne contient pas de publicités. Là où sur YouTube, les titulaires peuvent être incités à plus de souplesse en acceptant la diffusion de leurs contenus en échange d’une rémunération, ils n’ont pas cette possibilité sur SoundCloud et c’est peut-être ce qui les conduit à demander plus souvent le retrait.
[On trouve sur SoundCloud pas mal d'artistes défiant ouvertement les règles du droit d'auteur, comme ce Copyright Criminal qui se présente ainsi sur son profil :
Charged for crimes he didn't commit, Copyright Criminal was convicted and incarcerated for sample theft in a maximum security unit, from where, during a riot , he managed to sieze his opertunity and escape.
Copyright Criminal now lives out days in hiding from government forces .........where he fights on to clear his name!!]
On peut se demander si SoundCloud utilise le même système que celui développé par Google (ContentID). A priori, il semble que non, car on trouve des articles datés de 2011, indiquant que SoundCloud avait déployé la solution technique fournie par la société AudibleMagic, spécialisée dans la gestion des droits en ligne. Cette irruption du filtrage, sur une plateforme jusqu’alors plutôt tolérante, avait déjà provoqué des remous avec la communauté des DJ, notamment à propos des mashups.
Ce qui arrive à SoundCloud est significatif d’une tendance lourde dans l’évolution des plateformes de partage de contenus en ligne. En tant qu’hébergeurs, ces sites ne sont normalement pas astreints à une obligation de surveillance de leurs contenus, car ils bénéficient d’un régime de responsabilité allégée les obligeant seulement à retirer les contenus illégaux qu’on leur signale. Mais les systèmes automatiques de filtrage ont grandement bouleversé le paysage, car ils permettent à ces plateformes d’exercer un contrôle sans perdre le bénéfice de cette responsabilité allégée, puisque ce sont des robots qui font ce travail de surveillance et non des humains.
Lors des luttes contre SOPA et ACTA, un des points centraux des opposants avaient été de défendre ce régime des intermédiaires techniques, pour empêcher qu’un surcroît de responsabilité ne les forcent à filtrer les contenus. Malgré le rejet de ces deux textes, on voit pourtant que ces solutions de filtrage gagnent du terrain sur une base contractuelle, que ce soit sur YouTube, sur SoundCloud et même visiblement sur Facebook, sur lequel ContentID semble en mesure d’intervenir.
Ces solutions automatisées peuvent sembler avoir des effets bénéfiques, notamment parce qu’elles assouplissent en apparence les règles du droit d’auteur, tout en permettant une rémunération des titulaires de droits. Mais elles présupposent aussi que les usagers des plateformes soient soumis à une surveillance constante et que des acteurs privés puissent s’entendre entre eux pour mettre en place une véritable police du droit d’auteur, fonctionnant en parallèle du système légal. La semaine dernière, on apprenait par exemple, qu’en vertu d’accords particuliers avec Youtube, Universal détenait en fait un véritable pouvoir unilatéral de censure sur la plateforme, ce qui illustre les risques de dérives de cette police privée.
D’une certaine façon, ces solutions préfigurent une forme de licence globale privée et j’avais déjà été amené à dire qu’à ce compte, l’ensemble de l’écosystème numérique aurait intérêt à adopter une solution de type contribution créative plutôt que de s’en remettre à ces arrangements entre firmes. Pour les remix et les mashups, une consécration par la loi sous la forme d’une exception au droit d’auteur serait infiniment préférable à ce régime de tolérance organisée, qui peut à tout moment se retourner contre les créateurs d’oeuvres dérivées.
Imaginons un instant qu’un acteur comme Google avec ContentID propose un jour son système comme un moyen général de filtrer l’ensemble d’Internet, en offrant des solutions de monétisation aux titulaires de droits. Nous verrions alors surgir une sorte de Robocopyright global qui modifierait profondément la nature d’Internet tel que nous le connaissons.
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