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Plus gros, plus fort

Zythom - Blog d'un informaticien expert judiciaire - Zythom, 27/06/2012

Je suis souvent contacté par des personnes passionnées par les enquêtes et investigations numériques et qui aimeraient en faire leur métier.

Il y a dans le PEF (Paysage de l'Expertise Française) de nombreux organismes de police ou de gendarmerie qui peuvent répondre à leurs attentes : par exemple, les BPJ (Bureaux de la Police Judiciaire), le SITT (service de l'informatique et des traces technologiques), l'INPS (Institut National de Police Scientifique), la PTS (Police Technique Scientifique), l'IRCGN (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale), la toute jeune ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Information)...

Tous ces organismes forment et emploient des experts informatiques qui travaillent à l'élucidation des crimes et délits en France.

A côté et avec eux, travaillent les experts judiciaires en informatique.

Les moyens financiers mis à la disposition de la Justice par le gouvernement de la France étant très réduits, les magistrats sont très regardant sur les dépenses nécessaires aux investigations qu'il leur faut mener dans les enquêtes. Ils s'appuient sur les organismes publics en priorité, et seulement en dernier recours font appel au secteur privé.

Et je me permets de mettre sous l'appellation "secteur privé" les experts judiciaires informatiques, en ce sens qu'ils sont des auxiliaires de justice occasionnels d'un magistrat.

De mon point de vue, les experts judiciaires sont un peu les artisans de l'univers de l'expertise technique. Le mot "artisan" désigne en effet à l'origine "celui qui met son art au service d'autrui" et à longtemps été synonyme du mot "artiste" (source). Et puis, j'assiste parfois à des scènes comme celle-là ;-)

Un moyen efficace de réduire les coûts des expertises judiciaires, tout en maintenant un niveau technique très élevé dans des matières de plus en plus ardues, consiste pour certains experts à se regrouper pour former une structure d'expertise.

C'est la cas du LERTI, Laboratoire d'Expertise et de Recherche de Traces Numériques, que j'ai pu visiter il y a quelques temps, à l'occasion de la 2e journée d'échanges et de formation qu'il co-organisait avec l'INRIA de Grenoble.

Le LERTI a fait couler beaucoup d'encre dans le landerneau de l'expertise judiciaire. C'est en effet le premier laboratoire à avoir prêté le serment des experts judiciaires en tant que personne morale. J'en parlais d'ailleurs ici en 2007.

D'après Wikipédia, en droit, une personne morale est une entité juridique abstraite, généralement un groupement, dotée de la personnalité juridique, à l’instar d’une personne physique (un être humain). Or, en France, lorsqu'un juge désigne un seul expert (il peut désigner un collège d'experts mais c'est rare), celui-ci doit procéder lui-même aux opérations d'expertise. Il ne peut pas se faire remplacer par un tiers. Évidement, pour certaines opérations matérielles, il peut se faire assister par des collaborateurs, mais ceux-ci doivent opérer en sa présence et sous son contrôle, sauf nécessité technique et accord préalable des parties.
  • Art. 278 - L'expert peut prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne.
  • Art. 278-1 (inséré par décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 art. 39 Journal Officiel du 29 décembre 2005, en vigueur le 1er mars 2006) - L'expert peut se faire assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité.
  • Art. 282 (modifié par décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 art. 41 Journal Officiel du 29 décembre 2005 en vigueur le 1er mars 2006) - ... Si l'expert a recueilli l'avis d'un autre technicien dans une spécialité distincte de la sienne, cet avis est joint, selon le cas, au rapport, au procès-verbal d'audience ou au dossier. Lorsque l'expert s'est fait assister dans l'accomplissement de sa mission en application de l'article 278-1, le rapport mentionne les nom et qualités des personnes qui ont prêté leur concours.
Le fait qu'un laboratoire comme le LERTI puisse prêter serment, et apparaître ainsi sur la liste des experts judiciaires (de la Cour d'Appel de Grenoble) permet, de fait, aux personnes qui le composent, de mettre leurs connaissances et leurs moyens en commun et d'être plus efficients que l'artisan isolé que je suis.

Cela me semble une évolution naturelle et normale de l'expertise judiciaire à la française, où l'on trouverait sur les listes d'experts judiciaires des personnes morales solides et fiables, qui seraient auditées régulièrement sur des bases normalisées et publiques. Un peu comme les établissements d'enseignement supérieur.

Cela peut permettre également de recruter des personnes passionnées par l'investigation numérique, et à moi de conclure ce billet par un retour au sujet initialement abordé ;-)

Finalement, je suis un dinosaure qui sait que sa fin est proche.
Mais si cela peut améliorer le fonctionnement de la justice, c'est tant mieux : j'irai cultiver mon jardin, qui en a bien besoin.


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