Les citoyens ont tort, pas le pouvoir !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/10/2015
C'est le dernier jeu à la mode, gagnera celui qui sera le plus pessimiste sur l'avenir et le plus déprimé à propos du Front national et de ses succès envisagés comme quasi certains.
Le gouvernement et ses auxiliaires, dans cet exercice, l'emportent haut la main.
Claude Bartolone, dans ONPC sans doute aussi festif et hilare que d'habitude, a annoncé que Marine Le Pen sera qualifiée pour le second tour de l'élection présidentielle.
Le Premier ministre, qui ne veut pas être en retard d'un avertissement républicain - à force, on ne les entend plus - a déclaré, très inquiet, que le FN était susceptible de vaincre dans trois régions (Le Figaro).
On pourrait se moquer de ces intuitions crépusculaires qui cherchent à se faire passer pour des prédictions audacieuses alors que depuis l'élection de François Hollande, le FN ne cesse de monter et que les différents sondages le constatent.
Le pouvoir me fait penser à un avocat qui, en cour d'assises, perdrait tous ses procès mais s'obstinerait à n'incriminer que les jurés pour expliquer ses déconvenues systématiques sans jamais s'interroger sur sa propre responsabilité, voire son incompétence de plaideur.
Il est symptomatique, en effet, de les entendre, président de la République, Premier ministre, ministres, président de l'Assemblée nationale, Premier secrétaire du PS, constater, s'émouvoir, dénoncer, faire peur, s'indigner, faire la morale mais jamais se questionner, se mettre en cause, débattre de leur politique, l'analyser pour chercher en elle, qui sait ?, les causes de l'implacable, mais non inéluctable, montée du FN.
Il y a comme une amère volupté, pour ce pouvoir, à nous décrire ce qui nous attend et ce dont il est, pourtant, le principal, voire l'exclusif maître d'oeuvre ou d'inaction.
Comme si prédire le désastre lui permettait de faire croire que nécessairement il ne pourrait pas y être impliqué et et qu'il avait le droit de se laver les mains, Ponce Pilate pluriel, de ce qui advient cependant à cause de lui.
La droite n'est guère plus brillante dans ses propositions pour combattre le FN et éprouve beaucoup de mal à la fois à le piller, notamment pour la sécurité et la justice, et à se vanter de la cloison étanche qu'elle aurait établie entre elle et le FN. Comment, d'ailleurs, LR pourrait-il prétendre ramener vers son giron les électeurs mobilisés pour le FN si ceux-ci ne sont pas happés par une familiarité susceptible de les rassurer ?
Mais c'est la gauche qui n'a cessé de se poser en instructeur éthique à l'égard d'un adversaire qui l'a trop longtemps accepté. Et c'est la gauche qui, depuis 2012, contemple ce phénomène qui la dépasse et qui conduit une part importante des citoyens non seulement à la rejeter mais à mettre son espérance dans un parti dont l'opposition violente et sans concession lui fait du bien.
C'est donc que le FN n'a pas surgi de nulle part et qu'il ne s'est pas accru par magie comme une sorte d'objet partisan atypique. Son ampleur d'aujourd'hui et ses succès prévisibles de demain sont et seront la conséquence directe d'une politique sociale et économique qui échoue, d'une politique pénale calamiteuse oublieuse du peuple français et, plus généralement, de l'indifférence que manifeste l'Etat à l'égard de ces France sacrifiées au sein de la France abstraite vantée par les discours.
Il y a une forme d'impudence à culpabiliser, sur le ton du deuil démocratique, les citoyens qui s'égareraient, à déplorer les avancées du FN mais de demeurer à l'abri de toute critique dans le contentement socialiste de soi et la bonne conscience d'un pouvoir qui ne saurait fauter ni mal agir puisque, de gauche, il est forcément irréprochable.
Pourtant le FN progresse à cause de lui.
Ce pouvoir est vigilant mais les yeux fermés.