Ils ne tendent plus l'autre joue !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/12/2014
Il y aura toujours du soufre autour d'Eric Zemmour et de Robert Ménard.
Je n'ai pas envie, une nouvelle fois, de monter au créneau moins en leur faveur que pour la défense de la liberté d'expression.
Ce qui m'importe plutôt est de tenter d'analyser ce qui, à leur encontre, suscite une hostilité quasi systématique.
Robert Ménard, maire de Béziers, décide de rebaptiser la rue du 19-mars-1962 rue du Commandant Hélie-Denoix-de-Saint-Marc. Si les pieds-noirs applaudissent, son initiative suscite les foudres de la gauche. Et sa volonté de mettre à l'honneur toutes les religions bouscule les tenants d'une laïcité étriquée, incapable d'ouverture !
Eric Zemmour, qui a écrit un livre beaucoup vendu mais très peu lu (seulement 7% de ses acheteurs le connaissent dans sa totalité), a donné une interview au journaliste italien Stefan Montefiori du Corriere della Serra, sur l'immigration, l'islam et les musulmans.
Elle a fait scandale parce que Jean-Luc Mélenchon, dont on peut apprécier chaque jour la modération!, a pourfendu "la déportation" que Zemmour aurait évoquée dans cet entretien.
Et tout le monde a suivi, trop heureux de cette aubaine renouvelée de s'en prendre à l'auteur du Suicide français.
Stefan Montefiori, d'une honnêteté rare dont beaucoup de ses confrères français devraient s'inspirer, a assumé la responsabilité du terme "déportation", conséquence d'une malencontreuse synthèse de sa part (Figaro Vox).
Le livre d'Eric Zemmour non seulement est d'autant plus vilipendé que nous sommes très peu nombreux à l'avoir lu intégralement mais que, par ailleurs, il s'agit d'un ouvrage long, dense, difficile, complexe, à la fois engagé et documenté. Tout sauf l'essai rapide et désinvolte d'un journaliste pressé !
Est-il d'ailleurs encore un membre de cette profession alors qu'à l'évidence, son statut d'aujourd'hui renvoie plus à celui d'un essayiste et polémiste passionné par l'Histoire, mêlant le temps long et le temps court, préoccupé par son pays et stimulé par les controverses ?
Les journalistes de RTL s'indignent après ses propos sur les musulmans. Leur protestation collective s'inscrit dans un combat et une opposition légitimes. Ils ont le droit de ne pas apprécier les propos d'Eric Zemmour qu'ils continuent à juger prioritairement comme un confrère.
En revanche, quand Bruno Le Roux prône un boycott médiatique pour interdire à Eric Zemmour de s'exprimer, en feignant d'oublier qu'il n'a pas prononcé le mot "déportation", on n'est plus dans le même registre. Mais dans une chasse à l'homme, au journaliste ! Un étouffement pour dissidence !
Considérant Ménard et Zemmour, il me semble que plusieurs raisons expliquent l'antagonisme répétitif dont ils font l'objet. Je n'écris pas : dont ils sont victimes, parce qu'il est inévitable que la liberté qu'on s'octroie ait une rançon.
D'abord, il est clair que, plus que leurs oeuvres, leur personnalité déplaît, est même détestée par certains. J'ai l'impression de retrouver ce que j'avais éprouvé dans le monde judiciaire qui avait envie de me "faire payer" mon être plus que mon comportement professionnel.
Ils auront beau dire et faire, Zemmour et Ménard n'ont pas des caractères qui en feront les "chouchous" des intellectuels bienséants et des médias convenables. "Grandes gueules" mais pas seulement : le pire est qu'on ne peut pas les taxer de bêtise.
Plus profondément, ils ont pris des initiatives et des positions qui n'ont pas eu besoin, pour exister, de l'aval de leurs adversaires. Quoi qu'on pense des unes et des autres. Ils ne sont pas restés immobiles, l'esprit au pied et l'énergie en berne, en attendant tranquillement d'être massacrés par tous les registres du "correct" qui évidemment est prédéfini et sanctifié même s'il ne vaut rien.
Ils ont pris les devants et, de cette manière, mis fin à un défaitisme de la pensée conservatrice ou réactionnaire, en livres ou en actes, parce qu'elle acceptait trop volontiers la main mise sur elle d'une chape idéologique que par ailleurs elle dénonçait. La lutte a changé d'âme.
Au fond, l'insupportable, chez ces deux bretteurs, tient paradoxalement à leur similitude, mais à rebours, avec les processus de la gauche.
Ce n'est plus elle qui débaptise, c'est Ménard.
Ce n'est plus elle qui appréhende globalement notre société et en démontre les lignes de force, les variations et les ruptures depuis tant d'années, c'est Zemmour.
Ce n'est plus le socialisme ou l'idéologie éructante et vindicative d'un Mélenchon qui donnent le la mais des pensées et des personnalités qui seront d'autant plus honnies par quelques-uns qu'elles sont agréées par une majorité du peuple.
Pour résumer, Ménard et Zemmour nous offrent cette nouveauté bouleversante qui devrait être exploitée à outrance : ils ne tendent plus l'autre joue.