Patrimoine, vieilles monnaies et passions gauloises au tribunal
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 30/07/2014
En rejoignant sans entrain démesuré le tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne) qui jugeait mardi 29 juillet l’affaire d’un viticulteur poursuivi pour s'être approprié le fruit de fouilles archéologiques menées hors de toute autorisation, on n'imaginait pas que l'on allait se retrouver plongé au coeur d'une puissante querelle gauloise. En bref, la terre contre l'Etat, l'amateur contre la loi, la propriété privée contre le patrimoine de l'humanité.
Au commencement est donc un viticulteur de la Marne - « mon grand-père produisait du champagne, mon père produisait du champagne, je produis du champagne, mes enfants produisent du champagne » - qui nourrit une passion démesurée pour ses ancêtres les Gaulois. D'aussi loin qu'il se souvient, il a toujours marché les yeux rivés à la terre, en quête des trésors qu'elle pouvait receler. De son grand-père, il a hérité, outre l'art de produire du raisin, une collection de pièces de monnaie et de petits objets, pour la plupart d'origine gallo-romaine. Modernité aidant, il s'est doté d'un détecteur de métaux qui lui a permis, au fil des ans, d'enrichir considérablement son petit patrimoine archéologique et d'un brevet de pilote grâce auquel il repérait les plus beaux sites historiques de la région. "J'aurais aimé être archéologue, j'ai pas pu, j'ai que le certificat d'études", dit-il. Pour preuve de sa bonne foi patriotique, il ajoute: "Les pièces romaines que j'ai trouvées, je les ai abandonnées. Je me disais: "t'es pas Romain, toi, t'es Gaulois!"
Mais c'était compter sans la vigilance de l'Etat et de ses austères serviteurs les douaniers qui, un beau jour de février 2012, ont encerclé le viticulteur, girophares et sirènes en bataille, alors qu'il s'apprêtait à rejoindre une bourse aux monnaies à Argenteuil pour troquer sesterces contre deniers ou l'inverse. A bord de son véhicule, ils trouvaient outre des bouteilles de champagne acquises en parfaite légalité, 112 pièces anciennes rangées dans de petits sacs en plastique. Halte là! "biens culturels", ont-ils proclamé, en emmenant derechef le viticulteur et son trésor en rétention (la garde à vue douanière). L'interpellation fut suivie d'une perquisition à son domicile, dans lequel les douaniers découvraient, alignés derrière une vitrine, près de 2300 objets - monnaies, bijoux, poteries, silex, bagues et colliers, rouelles - provenant des sols et sous-sols des environs. Un expert, requis pour l'occasion, évaluait ce petit musée à plus de 150.000 euros, tout en indiquant que quelques rares pièces présentaient une valeur archéologique "inestimable."
« Je ne suis pas un bandit de grand chemin, Monsieur le président, tous ces objets, je les ai réparés avec amour, je leur ai donné une deuxième vie. Sans moi, ils auraient été détruits! » s'exclame le prévenu.
Le président, justement, a l'air d'en connaître un rayon sur la Gaule. « Vous avez lu La Guerre des Gaules? - Non. - Ah! C'est dommage, c'est passionnant. Et êtes-vous allé au musée national de Saint-Germain-en-Laye? - Oui. - Vous avez raison, il vaut vraiment le détour. Et qu'est-ce qui vous a le plus touché? - La Gaule. Moi, c'est vraiment la Gaule.»
Du dossier, le président extrait les photos couleur des pièces retrouvées chez le viticulteur. Il ne se lasse pas de les regarder. « Mais c'est magnifique, tout ça! ça vaudrait vraiment d'être exposé à Saint-Germain en Laye. Quel gâchis! Et ces pointes de lance gauloises de 20 cm, Monsieur, quand vous les trouvez, vous les mettez dans votre sac sans prévenir personne? Vous savez qu'un site archéologique, c'est pire qu'une scène de crime ? Il faut prendre d'énormes précautions! »
Le collectionneur amoureux se défend. « Je vais vous expliquer. Moi, tout le monde me connaît dans le coin. Les viticulteurs que j'allais voir me disaient: ‘Si tu trouves quelque chose, tu prends et tu te tais parce que je veux pas voir les archéologues dans mes champs!’ »
Les archéologues, voilà l'ennemi! Et l'ennemi est là, entendu comme témoin, en la personne du sous-directeur de l'archéologie au ministère de la culture. Il est énarque, il parle droit et loi, rappelle que le patrimoine est un bien commun de l'humanité, l'archéologie une science et que les fouilles « sauvages » causent des « désastres irrémédiables ». «Quand on va visiter Versailles, on ne repart pas avec une pierre du château», assène-t-il. Le viticulteur et son épouse l'écoutent en secouant la tête. Il y a entre eux, à cet instant, plus de distance qu'entre un statère des Parisii et une pièce d'un euro.
« J'avais fait un testament, dit encore le viticulteur. Je donnais une grande partie de ma collection d'objets au musée d'Epernay - il gardait quand même les pièces - pour que les gens d'ici voient ce que nos ancêtres ont laissé dans les champs. » Sa voix s'étrangle: « Parce que chez mes mes enfants, personne n'en veut. »
Contre le viticulteur, la procureure a requis quatre mois de prison avec sursis et 5.000 euros d'amende avec sursis contre son épouse, poursuivie pour « recel », auxquels s'ajoutent 200.000 euros demandés par les douanes. Jugement le 8 août.