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47 exécutions : Notre amie l’Arabie Saoudite donne le ton pour 2016

Actualités du droit - Gilles Devers, 3/01/2016

Après la so bad 2015, vous souhaitiez une 2016 cool and relax ,… mais ça...

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Après la so bad 2015, vous souhaitiez une 2016 cool and relax,… mais ça parait mal barré du fait de notre alliée stratégique au Moyen-Orient, la géniale et fraternelle Arabie Saoudite, qui a attendu ce 2 janvier pour procéder à l’exécution de 47 personnes, dont un important responsable religieux chiite.

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Le refrain de la « guerre contre le terrorisme »

Du côté saoudien, c’est le superbe discours de la guerre contre le terrorisme… Comme l’ami Bush, comme l’ami Hollande… « Nous sommes en guerre contre le terrorisme et le pays se défend. C’est une question de souveraineté nationale, et le gouvernement doit agir pour protéger le peuple et garantir son unité. Nous avons adapté nos lois à la guerre contre le terrorisme, mais nos procédures sont équitables et rien ne se fait sans preuve »… Une partition universelle,... et universellement bidon. 

Parmi les 47 exécutions, on trouve deux séries de faits bien distincts, tous jugés par une cour spécialisée dans les affaires de terrorisme, créée en 2008.

Il y a tout d’abord une série d’attentats revendiqués par Al-Qaida en 2003 et 2004, ayant causé 160 morts. C’est la plus grande part des condamnés, sans doute plus de 40, tous sunnites. Parmi eux, Fares al-Shuwail, présenté comme un leader religieux d’Al-Qaida en Arabie Saoudite.

Le second groupe concerne des faits de 2011 quand, poussée par le vent du « printemps arabe », la minorité chiite d’Arabie Saoudite, environ 2 millions de personnes vivant regroupées dans l’Est, avait revendiqué l’égalité des droits. Le responsable religieux de la communauté, le cheikh Nimr Baqer al-Nimr, soutenait qu’à défaut, la solution serait le regroupement avec Bahreïn. Dans tout ce qui est publié de sérieux, on retrouve l’activisme du cheikh, mais aucune implication dans la violence de la part de quelqu’un dont l’autorité religieuse est incontestable, et qui faisait déjà l’objet de tracasseries politiques par le régime avant son arrestation en 2011. Il a été condamné en octobre 2014 pour sédition, désobéissance au souverain et port d’armes – mais pas d’usage d’armes –  à l’occasion d’un procès qualifié d’expéditif par Amnesty International : aucun des témoins sur lesquels se fondait l’accusation n’était présent lors du procès, et les avocats n'avaient pas été prévenus à temps.

Les 47 exécutions – 45 Saoudiens, un Égyptien et un Tchadien – ont été pratiquées « au sabre ou par balles, dans douze villes du Royaume », comme l’explique un communiqué du ministère de l’Intérieur, qui dans notre pays allié, et celui qui gère l’exécution des peines. Décapité au sabre...

Tiens, à propos… ça me rappelle la proposition de Sarko pour que le ministère de l’Intérieur devienne compétent pour l’exécution des peines… Parfois, je me demande si ces ahuris se rendent compte de ce qu’ils disent…

Le bien-fondé de ces exécutions a été expliqué lors d’une conférence de presse tenue par le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice, et le Grand Mufti Sheikh Abdulaziz Al-Asheikh, sans le visa duquel aucune condamnation à mort ne peut être exécutée. Or, il a étudié que tout était bien, et que les terroristes avaient été condamnés en fonction de ce qu’ils avaient fait, et non pas en fonction de leurs convictions religieuses ou politiques…

Là aussi, je retrouve le goût suave de nos discours du genre : « Je respecte la liberté de religion, mais il faut quand même que ces gens se rendent compte que… »

Le porte-parole du ministère de l’intérieur, Mansour Al-Turki, a montré son excellente maîtrise de la propagande de la guerre contre le terrorisme : « Le royaume condamne toutes les formes de terrorisme et considère que ces actes criminels sont les plus redoutables. Les forces de sécurité ne limiteront aucun effort dans le combat contre quiconque est impliqué avec ces groupes terroristes. En effet ces groupes sont décidés à utiliser tous les moyens pour tenter d’atteindre la sécurité et la stabilité de l’Arabie Saoudite ».

Discours parfait. Je pense que le jury, présidé par l’inénarrable El Blanco, lui attribuera la note de 10 sur 10.

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Qu’y a-t-il à comprendre ?

Cette exécution n’a pas été faite en catimini. Non, elle a été présentée comme un acte fort de la nouvelle présidence… et de ses ramifications. Le nouveau chef d’Etat, le roi Salmane, est perçu comme faible, subissant le désaveu des États-Unis et des Russes qui dealent avec les Iraniens, et il trouve là une occasion de faire consensus à l’intérieur du pays… La population est toujours d’accord pour soutenir la glorieuse « guerre contre le terrorisme ». En fait, le chef d’orchestre parait être Mohammed ben Salmane, le prince héritier, conseiller spécial du roi, chef du cabinet royal et… ministre de la Défense. On est déjà dans la guerre de succession.

Par ailleurs, l’Arabie Saoudite explique qu’elle place cette action dans le plan de « lutte contre le terrorisme » qu’elle a engagée, notamment en réunissant il y a peu de temps à Riyad une coalition internationale de 34 Etats, que (presque) toute la presse internationale avait saluée…

Vu d’ici, il est bien difficile d’être affirmatif dans l’analyse des défis que représente cette politique autoritariste et guerrière,… sauf un point : la volonté de masquer les grands enjeux politiques et économiques de la région derrière une grille de lecture religieuse.

La ligne de fond est la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, et dès hier, Riyad a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec Téhéran. De part et d’autre, jusqu’en Irak, les déclarations sont très vives, exacerbées, mais on ne voit pas de risque d’une confrontation directe entre les deux pays. L’Iran, qui joue son retour sur la place internationale, va tout faire pour contenir et canaliser les passions populaires. Les accords passés avec les États-Unis et la Russie montrent que l’Iran est prêt à tenir le rôle de place forte dans la région, et l’Arabie Saoudite, qui redoute ce retour d’un Iran prospère, souhaiterait le pousser à la faute.

Par ce geste fort, les dirigeants saoudiens, qui à l’évidence gênent les États-Unis, expliquent qu’ils gardent deux objectifs décisifs, et qu'ils s’organisent pour cela : la chute de Bachar El-Assad – et donc la fin de Daech n’est pas pour demain… –  et la reprise de Sanaa aux groupes armés houthis… Le Yémen va être le lieu d’une grande confrontation armée. Toutes nos pensées à la population yéménite…

Non, grâce à notre allié préféré, 2016 ne sera pas cool and relax…

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