Dispositif législatif du renseignement : la surveillance des communications électroniques internationales
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, 29/10/2015
Le grand chalut de traîne de la surveillance des contenants et contenus échangés sur les réseaux de communications internationales entre bientôt dans les mailles de la loi française
Parachever la construction
Pour « incompétence négative » du Parlement, le Conseil constitutionnel avait censuré le nouvel article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure (CSI), dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, organisant la surveillance des communications internationales. Ce sont celles dont l’un des points d’émission ou de réception est à l’étranger. Il revient à la loi seule et non au pouvoir réglementaire gouvernemental, d’organiser ce régime relevant des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques (Conseil constitutionnel, décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 – loi relative au renseignement, cons. 78).
La nouvelle organisation du renseignement ne pouvant rester lacunaire, deux initiatives parlementaires sont intervenues pour en achever la construction par une norme législative dédiée à cet espect essentiel de la posture de sécurité nationale (La loi relative au renseignement est pleinement en vigueur depuis le 3 octobre 2015, L-X Simonel, Kpratique 8 oct. 2015). En premier lieu, Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale de l’Assemblée nationale a déposé une proposition de loi qui a conduit, en second lieu et de manière originale, à une initiative parallèle de M. Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat. Cette dernière proposition a été soumise au Conseil d’Etat par le président du Sénat, en application des dispositions de l’article 39, al. der., de la Constitution. Ainsi, l’initiative parlementaire a pu bénéficier de l’avis de l’assemblée générale du Conseil d’Etat, à l’instar d’un projet de loi gouvernemental. Mieux, cet avis a été rendu public (avis n° 390578 du 15 octobre 2015), aussi en annexe au rapport n° 97 rectifié du 21 octobre 2015 du sénateur Philippe Bas), ce qui devrait contribuer largement à l’apaisement des esprits, à la transparence dans l’adoption d’une norme à forts impacts juridiques et sociaux et à la sécurisation juridique du processus. A la suite de l’Assemblée nationale, la proposition de loi a été adoptée par le Sénat en première lecture le 27 octobre 2015. La procédure accélérée devrait permettre une promulgation rapide de ce texte, après son passage en commission mixte paritaire, d’autant que, on le verra, le Conseil d’Etat a dû préempter un peu de son contrôle préalable de constitutionnalité et de conventionalité.
Circonscrire le champ aux communications internationales
Le volet international porte sur la surveillance des communications émises ou reçues à l’étranger. Il est exclusif du régime de droit commun applicable aux techniques de recueil de renseignement mises en œuvre en France. Ces techniques sont, donc, soumises à deux régimes autonomes et étanches, selon qu’elles se déploient sur le territoire national ou en dehors, avec une passerelle pour les communications de nature mêlée, comme celles passées par un résident en France avec un terminal fonctionnant avec l’abonnement ou la carte SIM d’un opérateur étranger.
Les numéros d’abonnement ou les identifiants techniques sont ou non rattachables au territoire national. Sont rattachables les numéros de téléphone commençant par le préfixe 00.33, les plages d’adresses IP renvoyant à un fournisseur d’accès Internet opérant sur le territoire français ou les numéros IMSI des cartes SIM des téléphones mobiles renvoyant à un opérateur français. Alors que les interceptions réalisées sur le territoire national sont menées, dans le cadre de la loi, avec la participation des opérateurs de communications électroniques, la surveillance opérée au plan international est, par construction, hors du champ d’application de la loi française, clandestine et peut ne relever que des services spécialisés de renseignement sans intervention des opérateurs de communications électroniques (voir l’analyse du sénateur Alain Richard, ancien ministre de la défense de 1997 à 2002, lors de l’examen en commission des lois du Sénat le 21 octobre 2015).
Fixer un cadre juridique dédié et spécial
Le régime particulier de la surveillance internationale suit la logique de la veille globale et de l’analyse prédictive, avec mise en œuvre d’algorithmes à la fois sur le contenant (métadonnées de connexion, portant sur les numéros appelés, la durée, la localisation, les données de facturation, notamment) et sur le contenu (la substance de la correspondance échangée par téléphone, courriel ou fax). Il diffère aussi du droit commun du renseignement national car il dispense le Premier ministre d’obtenir un avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et il permet des autorisations collectives. Le Conseil d’Etat est d’avis que ces différences sont justifiées à la fois par la différence de situation entre les personnes résidant sur le territoire français et celles résidant à l’étranger, par la différence corrélative des techniques de surveillance qui doive être employée, ainsi que par la nature propre des missions de surveillances qui sont exercées à l’étranger (§ 2 de son avis précité).
Adapter le contrôle juridictionnel
Dans ce régime particulier, le contrôle juridictionnel sera adapté. Il est, en effet, nécessaire de parer aux détournements que pourraient être tentés pour entraver le fonctionnement du système par une avalanches de recours qui pourraient servir assez efficacement des projets étrangers hostiles. Aussi, en cette matière, la saisine de la formation spécialisée du Conseil d’Etat ne sera-t-elle pas ouverte directement. En cas de suspicion d’irrégularité dans la mise en œuvre d’une technique de recueil du renseignement, il faudra se tourner vers la CNCTR. Cette autorité administrative indépendante, interposée en filtre de pré évaluation de la légalité, vérifiera la régularité des opérations menées par rapport au cadre législatif et réglementaire, comprenant les autorisations données par le Premier ministre. En effet, celui-ci aura désigné, lui-même et sans donner de délégation, les réseaux de communications électroniques, privés ou publics, sur lesquels il autorise l’interception des communications émises ou reçues de l’étranger. Le président de la CNCTR ou une minorité de trois de ses neuf membres ont le monopole de la saisine de la formation spécialisée du Conseil d’Etat. L’on peut imaginer que la personnalité qualifiée en matière de communications électroniques pourrait être appelée à assumer un rôle déterminant dans la formation de cette minorité car huit des neuf membres de l’autorité administrative indépendante se regroupent par paires sociologiques et culturelles au sein de quatre catégories homogènes – deux parlementaires de la majorité, deux parlementaires de l’opposition, deux membres du Conseil d’Etat ou deux magistrats de la Cour de cassation.
Après avoir noté que les activités de renseignement, par leur nature même, doivent être réalisées à l’insu des intéressés, ce qui impose de placer l’autorité administrative indépendante en intermédiation en vue de la préservation du secret de ces activités, le Conseil d’Etat souligne que, dans cette situation particulière, le principe du contradictoire est, ici, pourtant pleinement respecté dans le contentieux opposant au Premier ministre les quatre requérants rendus aptes à agir par l’effet de la loi; ceci à la différence du droit commun du contentieux en matière de techniques de recueil du renseignement du champ national où l’asymétrie devrait être de principe. Aussi, est-il d’avis que le dispositif législatif en cours d’élaboration opère une conciliation, qui n’est pas manifestement déséquilibrée, entre le droit des personnes intéressées à exercer un recours effectif et les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, dont participe le secret de la défense nationale (avis précité, § 4).
Asurer la meilleure sécurité juridique possible au nouveau dispositif dédié
Il était initialement prévu que le cadre juridique de la surveillance à l’échelle internationale soit en place au 31 mars 2016 au plus tard. L’initiative parlementaire permettra de tenir cette perspective.
La mutation rapide des menaces au fil des révolutions technologiques de la planète numérique impose le déploiement et l’adaptation de capacités techniques capables d’y répondre. Il est vrai que cette indispensable protection a été développée, jusqu'à présent, assez largement en dehors de la règle de droit. L’intérêt général qu’il y a à ce que cette règle appréhende ces opérations le plus rapidement possible et dans un cadre de sécurité juridique suffisante explique, probablement, la démarche volontariste du Conseil d’Etat, dont l’avis éclaire directement la constitutionnalité et la conventionnalité (au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) du dispositif de surveillance internationale (voir l’avis précité, §§. 2 à 4).
L’analyse préalable du Palais Royal pour le pan international n’est pas dénuée d’effet dans le contrôle de conventionnalité du dispositif de droit commun en matière de renseignement dans le champ national, dont la Cour européenne des droits de l’homme est maintenant saisie, après que sa constitutionnalité eut été affirmée à quelques erraflures près (ingérence disproportionnée pour les dérogations d’urgence face à une menace imminente, régularité budgétaire des moyens de la CNCTR et incompétence négative du Parlement pour la surveillance internationale). Le dispositif international qui est regardé comme conventionnel par l’assemblée générale du Conseil d’Etat impose une ingérence dans la vie privée plus intense que le régime domestique de droit commun. Si l’ingérence du premier est justifiée pour assurer sécurité nationale et prévention des infractions pénales dans une société démocratique, ceci devrait être a fortiori le cas pour le second.
Il est vrai que la cour de Strasbourg pourrait ne pas se sentir absolument tenue par l’opinion consultative du Conseil d’Etat français mais il est vrai, aussi, qu’il lui sera difficile de n’en tenir aucun compte.
La mutation rapide des menaces au fil des révolutions technologiques de la planète numérique impose le déploiement et l’adaptation de capacités techniques capables d’y répondre. Il est vrai que cette indispensable protection a été développée, jusqu'à présent, assez largement en dehors de la règle de droit. L’intérêt général qu’il y a à ce que cette règle appréhende ces opérations le plus rapidement possible et dans un cadre de sécurité juridique suffisante explique, probablement, la démarche volontariste du Conseil d’Etat, dont l’avis éclaire directement la constitutionnalité et la conventionnalité (au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) du dispositif de surveillance internationale (voir l’avis précité, §§. 2 à 4).
L’analyse préalable du Palais Royal pour le pan international n’est pas dénuée d’effet dans le contrôle de conventionnalité du dispositif de droit commun en matière de renseignement dans le champ national, dont la Cour européenne des droits de l’homme est maintenant saisie, après que sa constitutionnalité eut été affirmée à quelques erraflures près (ingérence disproportionnée pour les dérogations d’urgence face à une menace imminente, régularité budgétaire des moyens de la CNCTR et incompétence négative du Parlement pour la surveillance internationale). Le dispositif international qui est regardé comme conventionnel par l’assemblée générale du Conseil d’Etat impose une ingérence dans la vie privée plus intense que le régime domestique de droit commun. Si l’ingérence du premier est justifiée pour assurer sécurité nationale et prévention des infractions pénales dans une société démocratique, ceci devrait être a fortiori le cas pour le second.
Il est vrai que la cour de Strasbourg pourrait ne pas se sentir absolument tenue par l’opinion consultative du Conseil d’Etat français mais il est vrai, aussi, qu’il lui sera difficile de n’en tenir aucun compte.