Le périmètre et l’étendue du contrôle du juge administratif en matière de licenciement économique
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Eve Derouesne, Stéphane Bloch, 8/04/2014
Aux termes d’un jugement prononcé le 11 février 2014 ,le tribunal administratif de Châlons en Champagne a annulé l’homologation par l’Administration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en considérant que les mesures d’accompagnement prévues étaient insuffisantes ou inadaptées et en soulignant que le groupe auquel appartenait l’employeur disposait de moyens suffisants pour mettre en place un plan plus efficace.
Au-delà de sa solution liée aux faits de l’espèce, cet arrêt est source de nombreux enseignements sur les prérogatives en ce domaine du juge administratif.
Dès lors qu’il existe un projet de réduction d’effectif concernant au moins 10 salariés sur une période de 30 jours, un plan de sauvegarde de l’emploi doit être établi sous peine de nullité de la procédure de licenciement.
L’objet du PSE est d’éviter les licenciements ou au moins d’en limiter le nombre en prévoyant des mesures de sauvegarde de l’emploi menacé telles que des reclassements, des actions de formation, ou encore des aides à la réalisation de projets individuels.
Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le PSE et la procédure qui l’accompagne doivent faire l’objet d’un accord collectif majoritaire ou d’un document unilatéral de l’employeur.
Si l’accord collectif doit être validé par l’Administration, le document unilatéral requiert, en application de l’article L 1233-57-3 du code du travail, son homologation par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l’emploi (DIRECCTE) qui vérifie, en particulier, la conformité du document aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles, la régularité de la procédure d’information-consultation des instances représentatives du personnel, que l’employeur a prévu le recours au contrat de sécurisation professionnelle ou la mise en place du congé de reclassement et enfin le respect par le PSE d’une proportion entre les moyens de l’entreprise, de l’union économique et sociale (UES) et du groupe et les mesures d’accompagnement prévues ainsi que les efforts de formation et d’adaptation de l’employeur.
Ces règles sont issues de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 dite de « sécurisation de l’emploi » qui a réformé le système antérieur et qui s’applique aux procédures engagées depuis le 1er juillet 2013, en pratique celles pour lesquelles la convocation à la première réunion du comité d’entreprise a été envoyée depuis cette date.
La décision d’homologation ou son refus peuvent naturellement faire l’objet d’un recours qui, aux termes de l’article L 1235-7-1 du code du travail issu de la loi du 14 juin 2013, relève de la compétence exclusive du tribunal administratif qui statue dans un délai de 3 mois à charge d’appel (lui-même enfermé dans un délai de jugement de 3 mois).
Il est précisé, à cette occasion, que les contestations liées au PSE et à la procédure qui l’accompagne ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation.
Le champ de compétence du juge administratif et, a contrario, le champ d’incompétence du juge judiciaire est donc le suivant :
• L’accord collectif ou le document unilatéral établissant le PSE
• Le contenu du PSE lui-même
• Les décisions prises par l’Administration du travail concernant la procédure de licenciement et le PSE (et, donc, notamment la décision d’homologation)
Dans une ordonnance de référé prononcée le 21 novembre 2013 , le tribunal de grande instance de Créteil, saisi par un comité d’entreprise en vue d’obtenir la suspension de la procédure d’information et de consultation en cours relative à une procédure de licenciement économique, s’est déclaré incompétent au profit de la juridiction administrative .
De façon plus « positive », le tribunal administratif de Châlons en Champagne, dans le jugement identifié du 11 février 2014, est l’une des premières juridictions administratives à se prononcer sur une demande d’annulation d’une décision d‘homologation d’un PSE (voire respectivement TA Nîmes, 27 novembre 2013, req. N°1302334 et TA Montreuil, 17 décembre 2013, req. N°1309825).
Les faits ayant conduit à cette décision sont assez simples. A la suite du prononcé de la liquidation judiciaire d’une société, confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de Reims, le liquidateur, suite à la cessation immédiate d’activité, dépose devant la DIRECCTE une demande d’homologation d’un PSE en application des dispositions susvisées.
L’homologation est refusée dans un premier temps puis finalement accordée, l’Administration considérant que des améliorations ont été apportées au Plan.
Des anciens salariés persistent à le trouver insuffisant au regard, notamment, des moyens dont dispose le groupe auquel appartient la société en liquidation et saisissent le tribunal administratif pour en demander la nullité.
Le tribunal administratif va faire droit à la requête qui lui est soumise et rend à cette occasion un jugement qui, éclairé par les conclusions du rapporteur public, permet de tirer les premiers enseignements suivants, dans l’attente d’une position contentieuse du Conseil d’Etat (1) :
• La qualité d’ancien salarié de la société dont le PSE a été homologué, y compris de salariés protégés, donner un intérêt à agir;
• Le juge judiciaire demeure seul compétent pour contrôler la réalité et le sérieux du motif économique du licenciement. Il n’appartient donc pas au juge administratif de se prononcer sur la pertinence des choix économiques et plus précisément du moyen de fraude à la loi invoqué par les anciens salariés tiré de ce que la liquidation judiciaire résulterait non pas d’une conjoncture économique défavorable mais des choix de gestion du groupe auquel appartenait l’employeur ;
• Le tribunal administratif statue dans un cadre d’excès de pouvoir et non de plein contentieux. Ceci emporte deux conséquences : d’une part, le juge administratif ne peut qu’annuler la décision d’homologation et non la réformer. D’autre part le juge examinera la légalité de la décision en se plaçant à la date où celle-ci a été rendue et non à la date où il statue (ceci ne l’empêchant néanmoins pas de tenir compte de faits postérieurs. Ici, le tribunal s’est amplement fondé sur des faits postérieurs à la décision d’homologation (illustrant la très faible mise en œuvre du PSE et de ses crédits et reflétant, à son sens l’inadéquation du PSE) pour se prononcer dans le sens de l’illégalité de la décision d’homologation au jour de sa signature ;
• Le contrôle exercé par le juge devrait être un contrôle normal et non un contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation. Ceci est un élément très important car s’il était jugé que le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint, le risque d’annulation de décisions d’homologation de PSE sera bien plus faible ;
• L’adéquation des crédits doit s’apprécier aide par aide même si le PSE a arrêté un principe de fongibilité des enveloppes car ce caractère fongible apparaît soit très théorique soit trop tardif) ;
• Au cas d’espèce, le tribunal juge le PSE insuffisant au regard, d’une part, de l’insuffisance de trois types d’aides ( (i) aides au reclassement et à la mobilité géographique externe proposées par l’employeur - par exemple frais de déménagement plafonnés à 2.000 euros-, (ii) aides à la formation (4500 euros) lesquelles ne permettent pas de faire face à une formation individualisée, indispensable pour accroitre les chances de retrouver rapidement un emploi et (iii) aides à la création (6 000 euros) et, d’autre part, plus globalement des moyens dont le groupe dont faisait partie l’employeur, dispose qui lui permettait de mettre en place un plan de sauvegarde plus efficace que celui homologué dans le cadre du litige.
A noter que la critique de la formation de jugement sur le PSE en cause est bien plus sévère que celle formulée par le rapporteur public qui n’avait proposé que de retenir le premier motif d’illégalité tiré de l’insuffisance des aides de reclassement et à la mobilité.
La portée de cette décision favorable aux salariés doit néanmoins être relativisée.
En effet, les salariés ont d’ores et déjà été licenciés avec l’accord du DIRECCTE mais, dans le même temps, le PSE n’est plus homologué, ce qui prive de base légale leur licenciement.
Pour cette raison, de manière générale, les requérants seront bien inspirés de tenter leur chance en suspension en assortissant leur recours en excès de pouvoir d’un référé suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. S’ils parviennent à démontrer l’urgence et l’existence d’au moins un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision de la DIRECCTE, alors ils pourront obtenir la suspension de la décision de la DIRRECTE ce qui fera momentanément obstacle aux licenciements.
(1) A ce jour, le Conseil d’Etat n’a rendu que deux décisions en la matière. Par la première, il a statué sur la compétence territoriale au sein de la juridiction administrative et rappelé que les décisions d’homologation de PSE ne sont pas des actes réglementaires (CE, 24 janvier 2014, req. N°374163, publié au recueil Lebon). Par la seconde, il n’a statué que sur un pourvoi relatif à une procédure de référé suspension (CE, 21 février 2014, req. N°374409). Ainsi, le Conseil d’Etat n’a pas encore statué sur les questions essentielles telles que l’étendue du contrôle du juge administratif
Dès lors qu’il existe un projet de réduction d’effectif concernant au moins 10 salariés sur une période de 30 jours, un plan de sauvegarde de l’emploi doit être établi sous peine de nullité de la procédure de licenciement.
L’objet du PSE est d’éviter les licenciements ou au moins d’en limiter le nombre en prévoyant des mesures de sauvegarde de l’emploi menacé telles que des reclassements, des actions de formation, ou encore des aides à la réalisation de projets individuels.
Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le PSE et la procédure qui l’accompagne doivent faire l’objet d’un accord collectif majoritaire ou d’un document unilatéral de l’employeur.
Si l’accord collectif doit être validé par l’Administration, le document unilatéral requiert, en application de l’article L 1233-57-3 du code du travail, son homologation par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l’emploi (DIRECCTE) qui vérifie, en particulier, la conformité du document aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles, la régularité de la procédure d’information-consultation des instances représentatives du personnel, que l’employeur a prévu le recours au contrat de sécurisation professionnelle ou la mise en place du congé de reclassement et enfin le respect par le PSE d’une proportion entre les moyens de l’entreprise, de l’union économique et sociale (UES) et du groupe et les mesures d’accompagnement prévues ainsi que les efforts de formation et d’adaptation de l’employeur.
Ces règles sont issues de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 dite de « sécurisation de l’emploi » qui a réformé le système antérieur et qui s’applique aux procédures engagées depuis le 1er juillet 2013, en pratique celles pour lesquelles la convocation à la première réunion du comité d’entreprise a été envoyée depuis cette date.
La décision d’homologation ou son refus peuvent naturellement faire l’objet d’un recours qui, aux termes de l’article L 1235-7-1 du code du travail issu de la loi du 14 juin 2013, relève de la compétence exclusive du tribunal administratif qui statue dans un délai de 3 mois à charge d’appel (lui-même enfermé dans un délai de jugement de 3 mois).
Il est précisé, à cette occasion, que les contestations liées au PSE et à la procédure qui l’accompagne ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation.
Le champ de compétence du juge administratif et, a contrario, le champ d’incompétence du juge judiciaire est donc le suivant :
• L’accord collectif ou le document unilatéral établissant le PSE
• Le contenu du PSE lui-même
• Les décisions prises par l’Administration du travail concernant la procédure de licenciement et le PSE (et, donc, notamment la décision d’homologation)
Dans une ordonnance de référé prononcée le 21 novembre 2013 , le tribunal de grande instance de Créteil, saisi par un comité d’entreprise en vue d’obtenir la suspension de la procédure d’information et de consultation en cours relative à une procédure de licenciement économique, s’est déclaré incompétent au profit de la juridiction administrative .
De façon plus « positive », le tribunal administratif de Châlons en Champagne, dans le jugement identifié du 11 février 2014, est l’une des premières juridictions administratives à se prononcer sur une demande d’annulation d’une décision d‘homologation d’un PSE (voire respectivement TA Nîmes, 27 novembre 2013, req. N°1302334 et TA Montreuil, 17 décembre 2013, req. N°1309825).
Les faits ayant conduit à cette décision sont assez simples. A la suite du prononcé de la liquidation judiciaire d’une société, confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de Reims, le liquidateur, suite à la cessation immédiate d’activité, dépose devant la DIRECCTE une demande d’homologation d’un PSE en application des dispositions susvisées.
L’homologation est refusée dans un premier temps puis finalement accordée, l’Administration considérant que des améliorations ont été apportées au Plan.
Des anciens salariés persistent à le trouver insuffisant au regard, notamment, des moyens dont dispose le groupe auquel appartient la société en liquidation et saisissent le tribunal administratif pour en demander la nullité.
Le tribunal administratif va faire droit à la requête qui lui est soumise et rend à cette occasion un jugement qui, éclairé par les conclusions du rapporteur public, permet de tirer les premiers enseignements suivants, dans l’attente d’une position contentieuse du Conseil d’Etat (1) :
• La qualité d’ancien salarié de la société dont le PSE a été homologué, y compris de salariés protégés, donner un intérêt à agir;
• Le juge judiciaire demeure seul compétent pour contrôler la réalité et le sérieux du motif économique du licenciement. Il n’appartient donc pas au juge administratif de se prononcer sur la pertinence des choix économiques et plus précisément du moyen de fraude à la loi invoqué par les anciens salariés tiré de ce que la liquidation judiciaire résulterait non pas d’une conjoncture économique défavorable mais des choix de gestion du groupe auquel appartenait l’employeur ;
• Le tribunal administratif statue dans un cadre d’excès de pouvoir et non de plein contentieux. Ceci emporte deux conséquences : d’une part, le juge administratif ne peut qu’annuler la décision d’homologation et non la réformer. D’autre part le juge examinera la légalité de la décision en se plaçant à la date où celle-ci a été rendue et non à la date où il statue (ceci ne l’empêchant néanmoins pas de tenir compte de faits postérieurs. Ici, le tribunal s’est amplement fondé sur des faits postérieurs à la décision d’homologation (illustrant la très faible mise en œuvre du PSE et de ses crédits et reflétant, à son sens l’inadéquation du PSE) pour se prononcer dans le sens de l’illégalité de la décision d’homologation au jour de sa signature ;
• Le contrôle exercé par le juge devrait être un contrôle normal et non un contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation. Ceci est un élément très important car s’il était jugé que le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint, le risque d’annulation de décisions d’homologation de PSE sera bien plus faible ;
• L’adéquation des crédits doit s’apprécier aide par aide même si le PSE a arrêté un principe de fongibilité des enveloppes car ce caractère fongible apparaît soit très théorique soit trop tardif) ;
• Au cas d’espèce, le tribunal juge le PSE insuffisant au regard, d’une part, de l’insuffisance de trois types d’aides ( (i) aides au reclassement et à la mobilité géographique externe proposées par l’employeur - par exemple frais de déménagement plafonnés à 2.000 euros-, (ii) aides à la formation (4500 euros) lesquelles ne permettent pas de faire face à une formation individualisée, indispensable pour accroitre les chances de retrouver rapidement un emploi et (iii) aides à la création (6 000 euros) et, d’autre part, plus globalement des moyens dont le groupe dont faisait partie l’employeur, dispose qui lui permettait de mettre en place un plan de sauvegarde plus efficace que celui homologué dans le cadre du litige.
A noter que la critique de la formation de jugement sur le PSE en cause est bien plus sévère que celle formulée par le rapporteur public qui n’avait proposé que de retenir le premier motif d’illégalité tiré de l’insuffisance des aides de reclassement et à la mobilité.
La portée de cette décision favorable aux salariés doit néanmoins être relativisée.
En effet, les salariés ont d’ores et déjà été licenciés avec l’accord du DIRECCTE mais, dans le même temps, le PSE n’est plus homologué, ce qui prive de base légale leur licenciement.
Pour cette raison, de manière générale, les requérants seront bien inspirés de tenter leur chance en suspension en assortissant leur recours en excès de pouvoir d’un référé suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. S’ils parviennent à démontrer l’urgence et l’existence d’au moins un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision de la DIRECCTE, alors ils pourront obtenir la suspension de la décision de la DIRRECTE ce qui fera momentanément obstacle aux licenciements.
(1) A ce jour, le Conseil d’Etat n’a rendu que deux décisions en la matière. Par la première, il a statué sur la compétence territoriale au sein de la juridiction administrative et rappelé que les décisions d’homologation de PSE ne sont pas des actes réglementaires (CE, 24 janvier 2014, req. N°374163, publié au recueil Lebon). Par la seconde, il n’a statué que sur un pourvoi relatif à une procédure de référé suspension (CE, 21 février 2014, req. N°374409). Ainsi, le Conseil d’Etat n’a pas encore statué sur les questions essentielles telles que l’étendue du contrôle du juge administratif