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Des mots pour ne pas le dire...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/01/2016

J'en conviens : parler juste ce n'est pas juste parler. C'est sortir le meilleur de soi. Je ne désespère pas puisque dans ce billet j'ai résisté à remarquable.

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La parole, le vocabulaire, le langage, l'éloquence, le style. La pauvreté ou la richesse, la correction ou la grossièreté de la forme. L'invention ou non du propos.

C'est sans doute à partir d'une réflexion permanente sur ces notions et sur la liberté d'expression en général que je suis sensible à ce qu'on pourrait qualifier de locutions mécaniques, obligatoires, conventionnelles.

Qui gouvernent la personne plus qu'elle ne les maîtrise.

Qu'on tende l'oreille, qu'on lise ou qu'on écoute les médias et on pourra constater comme peu d'originalité pousse et prospère sur les steppes de la quotidienneté, pour évoquer les êtres comme les choses, le factuel comme le conceptuel, la politique comme l'art.

Il n'est pas un magistrat qui ne soit pas déclaré haut, le moindre avocat est bombardé ténor, toute tournée d'un artiste est triomphale, la plus petite contradiction entre interlocuteurs est baptisé clash et le film offre assez souvent un plaisir jubilatoire. Et, bien sûr, cette personnalité est emblématique, et le dernier roman d'un écrivain qui en a écrit une vingtaine est forcément son meilleur... Tout cela étant baigné dans cette sauce filandreuse imprégnée "d'incontournable" et de "quelque part" (France Inter) !

Une amie m'a reproché récemment d'abuser de "remarquable". J'essaie de me soigner.

Pourquoi cette facilité qui nous saisit même si la plupart d'entre nous s'en défendent ?

Parce que le réel est trop complexe et qu'il serait épuisant de le décrire avec ses mille facettes matérielles et humaines. Parce qu'il est confortable d'apposer sur la richesse de la vie la pauvreté d'un mot vidé de son sens. Parce qu'il est tellement plus simple de ne pas distinguer ni discriminer.

Comme s'il fallait lâcher prise et se détourner de la rigueur, de la finesse, de la précision et de l'évaluation. Mettre tout le monde dans le même sac, surtout quand c'est par le haut gratifiant, c'est de la paresse. Se contenter d'approximations vagues et de généralités floues, c'est battre en retraite.

L'obsessionnel "quelque part" se substitue à tout ce qu'on ne sait pas exprimer. C'est à ceux qui écoutent de faire avec ce brouillard. Ils penseront et choisiront à la place du locuteur.

Il y a des mots qui sont proférés pour ne rien dire.

Il y a des mots qui condamnent sans démontrer. Ainsi la sécurité est gangrenée en sécuritaire. Et le peuple qui ne plaît pas à la gauche en populisme. Et le FN est forcément nauséabond, et la France patriote moisie...

Ce n'est pas un mince sujet que cette avancée, dans la belle langue française, de ces réflexes pervers, de ces conformismes mous, de ces tièdes banalités.

J'en conviens : parler juste ce n'est pas juste parler. C'est sortir le meilleur de soi.

Je ne désespère pas puisque dans ce billet j'ai résisté à remarquable.


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