Toute conviction est-elle une maladie ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/01/2019
J'aime bien les provocateurs qui n'ont pas leur pensée dans la poche, j'aime bien les provocations qui font réfléchir.
Dans le livre de Nicolas Gardères "Voyages d'un avocat au pays des infréquentables", Francis Picabia est cité : "Toute conviction est une maladie".
Malgré son outrance apparente, cette saillie a immédiatement suscité mon intérêt tant, si on veut bien l'approfondir, elle explique les impasses intellectuelles et médiatiques auxquelles sont confrontés beaucoup d'échanges et de débats.
Est-ce à dire que toute conviction, en tant que telle, serait une maladie ou convient-il plutôt de se pencher sur les modalités de son expression, sur la manière dont elle se ferme ou non sur elle-même?
Cette seconde branche de l'alternative est évidemment la plus plausible parce que même pour l'esprit le plus rétif aux affirmations, à la volonté d'exister, se dispenser de la formulation de toute conviction est quasiment impossible. Ce qui laisserait entendre que nous serions tous des malades et qu'alors les fanatiques - poussant la conviction au-delà de toute mesure - seraient des moribonds en phase terminale.
Je ne tiens pas à traiter à la légère cette observation de Picabia d'abord parce qu'elle n'émane pas de n'importe qui. Ensuite on perçoit bien la maladie qu'il nomme, qui serait consubstantielle à une conviction se présentant comme l'alpha et l'oméga du sujet abordé et refusant par principe la nuance ou le dialogue susceptible d'infléchir ou de contredire.
Il est facile de constater à quel point les convictions politiques - à quelques exceptions près, les hommes et les femmes de gauche sont assez caricaturaux sur ce plan - constituent en effet sinon des maladies, du moins des entraves et des blocages dans l'espace médiatique. Parce qu'elles sont insupportables à force de prévisibilité. A partir du moment où la pensée est à tout coup prévisible, sur quelque thème que ce soit, la conviction devient inéluctablement une maladie puisqu'elle se prive et nous prive de ce qui représenterait au contraire la bonne santé : la liberté, le doute, le questionnement, la modestie ou la curiosité.
La certitude ancrée d'avoir raison, indéracinable, est le pire des handicaps et de fait, alors, on côtoie une maladie grave en espérant qu'elle ne sera pas contagieuse mais avec la rançon inévitable d'un dialogue rendu impossible.
Parce que la conviction est en effet une maladie quand elle résume sommairement le pluralisme des possibles qui pourraient s'attacher à un sujet et évite soigneusement, dans son expression même, de s'imprégner de la moindre réserve. Comme si elle était parole d'évangile ou d'idéologie.
Il me semble que le ressort principal qui gangrène la conviction est le fait de la prétendre en autarcie, par principe détachée de l'autre, sans envisager la chance ou le hasard d'une réplique qui pourrait venir la troubler ou la rendre caduque. Une solitude qu'on s'arroge pour ne pas risquer la contradiction.
Il y a mille manières d'échapper à la maladie de la conviction. J'entends bien qu'on pourrait me reprocher, à la lecture de ce billet ou à l'écoute de certains de mes propos, d'avoir des convictions et que ce serait par exemple celles d'un homme de droite.
D'abord je ne me suis jamais reconnu dans cette étiquette et si j'ai revendiqué d'être un réactionnaire, cela tient au fait que paradoxalement cette définition est plus large et autorise plus de variations et de liberté.
Surtout j'ose dire que sans présomption je ne me suis jamais défait de la passion d'écouter et du bonheur de satisfaire une curiosité, précisément parce que l'idée exprimée courtoisement par autrui mérite dans tous les cas d'être intégrée à sa propre pensée.
Dans l'espace intellectuel l'imprévisibilité, offensant les cohérences artificielles et programmées, est l'autre nom de la liberté.
Au fond la conviction n'est jamais une maladie quand elle ne s'impose pas mais se propose.
Quand elle s'adresse à quelqu'un pour convaincre ou accepter d'être convaincu.