Actions sur le document

Les hétéros sont-ils réactionnaires ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 26/09/2012

On boira le changement jusqu'à la lie, jusqu'à l'hallali !

Lire l'article...

L'homosexualité peut être douleur, solitude, tragédie, honte, ostracisme mais aujourd'hui, dans certains milieux, elle est aussi tendance, la dernière compréhension à la mode, presque dominante dans les têtes tant la dictature de la minorité est redoutable quand elle donne mauvaise conscience et qu'elle est assurée du soutien de tous ceux qui ne s'égareraient pas d'un pouce du socialement correct.

A lire certains articles, à écouter des débats télévisuels récents, j'ai eu l'impression d'une sorte de présomption de régression appliquée à l'hétérosexualité, comme si cet état ne pouvait plus se prévaloir de sa normalité, de sa condition lui permettant au moins virtuellement de procréer, de l'extrême banalité de ses comportements quotidiens et de sa conformité à la nature.

Le grand, le gros mot est lâché puisque rien n'est plus insupportable de nos jours que d'être attaché au cours ordinaire des choses et de demeurer sans souffrir dans une majorité sociologique qui est attaquée dans la mesure même où elle campe sur des évidences qui lui sont tellement consubstantielles qu'elle a répugné longtemps à les justifier (France 2, le Figaro, Marianne 2, nouvelobs.com).

L'hétérosexuel, paradoxalement, est atteint de faiblesse face aux accusations subtiles, diffuses ou apparentes qui lui sont adressées. Au fond, il est condamné à ne plus rien comprendre au monde et à autrui puisqu'il manque de ce sens élémentaire qui devrait lui rendre familière et même douce une altérité radicalement différente de la sienne. Comment ose-t-il ne pas percevoir comme une grande chance le fait de rencontrer dans sa quotidienneté deux hommes, deux femmes s'embrassant goulûment avec un excès dû à des siècles de retenue publique ? Comment ne fond-il pas de bonheur devant ces manifestations et ces défilés bariolés, élégants et joyeux où les homosexuels cherchent à démontrer à chaque seconde qu'ils ne relèvent pas du même registre que les autres dont ils s'acharnent pourtant à vouloir épouser les dépendances et les rites ? Comment n'est-il pas enthousiasmé en constatant sur le plan politique l'emprise de la communauté homosexuelle et les ravages qu'entraîne, dans notre société démocratique, la liberté d'expression à son encontre ? Pourquoi son allégresse manque-t-elle de fraîcheur devant les signes pourtant indéniables d'une société dont le seul objectif est d'avancer avec une heureuse inconscience de ses finalités ?

Le seul hétérosexuel convenable serait celui qui est obligé de s'avouer qu'il lui manque quelque chose. Je plaisante à peine.

Il y a des nostalgies dont je ne me dépars pas.

Je suis prêt à m'engager avec élan dans beaucoup de combats si on me démontre que les évolutions sont nécessaires et les changements indispensables. Mais j'ai peine à croire que nous nous trouvions dans une situation où notre pays a absolument besoin de telle ou telle réforme "sociétale" qui ne vise qu'à inscrire dans le marbre législatif ce qui vit et se vit aussi chaleureusement et amoureusement dans le secret des coeurs et l'intensité des liens intimes. Sommes-nous tenus, en plus du respect, de concéder l'appareil ?

Je n'éprouve aucun mépris, bien au contraire, pour ceux que la modernité rebute, que le fil du temps exaspère et qui ne reconnaissent plus de bonne foi le paysage humain de leur pays. Il ne s'agit même pas de déclinisme, ce qui ressemble trop souvent à une vitupération systématique molle ou aigre sur un paradis perdu qui n'a que le charme du passé transfiguré. Je songe plutôt à cette impression de douceur enfuie, de cohérence effacée et d'harmonie dissipée, à cette configuration où rien ne s'opposait, pour la blesser, à sa vision du monde, où la saveur des choses et le goût des êtres semblaient riches d'une inaltérable stabilité, où les familles se rêvaient au moins unies et où l'amour n'était pas pour tous mais pour chacun et ne s'en portait pas plus mal. Je conçois le désarroi suscité par cette révolution qui nous a fait passer de ce qui était lisible et limité à un illimité angoissant et plus du tout saisissable. Cet âge d'or était mythique mais il prend de plus d'intensité au fur et à mesure que la réalité est broyée pour inventer des horizons et des attitudes au sens propre inimaginables.

Le mariage homosexuel et l'homoparentalité, en dépit de certaines oppositions mais trop peu accordées au sens de l'Histoire, paraît-il, et aux implacables avancées de ce qu'on nomme vite le progrès, vont être adoptés par le Parlement. Pour le pouvoir, ces réformes seront comme des bouffées d'air et viendront dorer un socialisme condamné à être de plus en plus dur à l'intérieur.

Il n'empêche que sur deux points essentiels, dont le second a d'ailleurs déjà été évoqué, nous avons le droit, sans être qualifiés de rétrogrades et de tâcherons de la sexualité, de mêler une autre voix au débat : sur l'égalité et la précaution.

Combien de fois ai-je entendu et lu que des obstacles anthropologiques, philosophiques et politiques existaient qui étaient susceptibles de faire hésiter sur l'opportunité du mariage gay - du mariage pour tous, comme dit Caroline Fourest qui n'en revient pas de devoir convaincre une multitude aussi obtuse - mais qu'ils devaient être balayés par la considération prioritaire, incontestable de l'exigence d'égalité ! Cependant, Aristote il y a des siècles l'avait perçu, l'égalité n'a de sens et ne se mue en concept et en valeur opératoires qu'à partir du moment où elle s'applique à des situations elles-mêmes comparables. La justice imposant de traiter également des êtres égaux pour être précisément juste, l'apposition abstraite du principe d'égalité sur des configurations existentielles et intimes totalement dissemblables par leur nature et leurs effets relève plus de l'incantation que de la réflexion.

Alors que la précaution, la prudence sont érigées en règle suprême par notre société au point de stériliser les initiatives, les audaces, les recherches - notamment encore récemment sur le plan écologique, pour sauvegarder la qualité de notre environnement et de notre existence -, quand n'importe quel projet, dont l'avenir n'est pas exactement calibré et prévu, suscite le doute et appelle mille scrupules, souvent pour ce qui se rapporte à la matérialité la plus brute, on serait moins vigilant pour les personnes et leurs rapports que pour les choses, pour l'infinie fragilité humaine que pour le solide et indolore agencement de l'univers ? Au nom de ce principe de précaution, ne conviendrait-il pas, non pas d'ordonner un référendum mais de multiplier les échanges, de favoriser les contradictions et d'instaurer à la fois un débat public et savant ? Le Monde, dans une page très documentée et éclairante au sujet de la position des psychologues sur l'homoparentalité, montre bien à quel point des antagonismes de fond existent entre les uns et les autres et que donc il serait désinvolte de changer radicalement de monde, de passer de l'évidence de la nature à la construction de la culture sans se pencher gravement et longtemps sur cette révolution envisagée.

Ceux qui pensent et sentent comme moi mènent probablement un combat d'arrière-garde mais on sait depuis longtemps que les désespérés sont les plus beaux. Qu'on dénie toute validité à l'opposition au mariage homosexuel et à ses suites logiques et inévitables pour les enfants - si le mariage est pour tous, tous doivent en bénéficier pleinement, sans discrimination !- parce que les homosexuels et leurs associations pèsent lourd et exigent le mariage, soit. Parce que d'autres pays l'ont déjà adopté et qu'on ne voudrait pas être en retard d'un mouvement, pourquoi pas ? Mais qu'on ne cherche pas à nous persuader qu'une aurore va se lever sur une France trop frileuse et que les hétérosexuels qui renâclent sont réactionnaires.

On boira le changement jusqu'à la lie, jusqu'à l'hallali!


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...