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Les biceps de Mélenchon

Justice au singulier - philippe.bilger, 10/04/2012

Une revanche qui fait surgir en majesté et en fureur le Mélenchon d'aujourd'hui et de demain.

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Quel est le jeu de Jean-Luc Mélenchon ? Finit-il par croire à son personnage d'orage et de grand vent ou bien est-il animé par des convictions politiques extrêmes et, à la fois, par une incontestable volonté de revanche ?

En tout cas, ce serait se tromper que de ne pas s'attacher en profondeur à une perception de cet "animal" singulier qui semble conquérir les esprits bien au-delà de son champ naturel et idéologique. Mélenchon est devenu à la mode, quoi qu'il en ait, même si pas une seconde il n'est séduit ni même flatté par les grotesques compliments de la droite sarkozyste qui, pensant se débarrasser de Hollande, l'encense sans percevoir que, le président réélu, Jean-Luc Mélenchon et ses troupes seraient comme une Corée du Nord pour temps démocratiques dans sa chaussure !

Quelle étrange démarche que celle de Mélenchon !

Je peux comprendre la volupté tribunicienne qui, dans une campagne dont le souffle n'est pas surabondant, l'entraîne à exhiber sans cesse ses biceps et à vanter une France "les gros bras". L'allégresse de se faire applaudir parce qu'on a le talent d'asséner des réponses simples à des questions infiniment complexes, de nous livrer un pays et un monde lisibles alors qu'ils sont enchevêtrés, erratiques et quasiment illisibles. Pourquoi pas ? Là où le FN propose une France du repli, tout hérissée de protections, Jean-Luc Mélenchon a l'habileté de mêler les menaces qui pèseront forcément sur nous à cause de lui (ou grâce à) à une France du pugilat qui ne fera qu'une bouchée de tous les adversaires. Aussi, contre une Europe qui n'aura qu'à bien se tenir ! Il y a du Matamore dans cette attitude et sans doute le leader du Front de gauche - ces Fronts dans l'espace politique ne me disent rien qui vaille, je les vois plus butés qu'ouverts et réfléchis - sait-il partager avec les Français cette légère vanité qui, contre l'évidence, nous illusionne sur notre supériorité. Mais, tout de même, dans cette avancée que les sondages évaluent entre 13 à 15%, Jean-Luc Mélenchon se désole-t-il non plus de prendre des voix dans le vivier des abstentionnistes mais d'aller les voler à la gauche classique, responsable, plausible, celle de François Hollande ? De représenter, contre le vote utile, le vote du lyrisme protestataire et autoritaire. L'argument consistant à se consoler en affirmant que globalement la gauche monte n'est guère pertinent si on admet maintenant que les vases communicants n'ajoutent et ne retranchent que dans les sphères déjà impliquées et mobilisées. Un Mélenchon de plus, donc un Hollande de moins et non pas un peu plus de gauche.

Ceux qui s'imaginent qu'entre les deux tours, si Nicolas Sarkozy et François Hollande sont appelés à concourir le 6 mai, le report des voix de Mélenchon se fera massivement sur le candidat socialiste, sans aucun problème, à mon sens s'égarent. Il est évident que Mélenchon tenu par ses comportements de prestance, de résistance et d'intégrité au moins apparente vendra chèrement sa "peau" même si les communistes à ses côtés lui rappelleront la donnée fondamentale des législatives à venir. Il voudra demeurer héros jusqu'au bout. Le PS n'en finira pas de payer le sacrifice que lui fera Mélenchon, au dernier moment !

Au-delà de lui-même dont la fausse modestie est ostensible - ce n'est pas lui, bien sûr, qu'on est venu applaudir à la Bastille, mais le Front de gauche, avec tant de satisfaction mal dissimulée dans la voix et la sous-estimation de soi qu'on a tout compris ! -, il y a, chez cet être, des tréfonds qui ne laissent pas de surprendre. Pourquoi ce besoin constant de rudoyer , de brutaliser, de se poser "en mec, en mac" comme si la France n'attendait que d'être prise avec vigueur, même avec violence ? Tout le monde y passe, les journalistes (France Inter) comme les adversaires : certes la joute présidentielle a ses exigences mais pourquoi sent-on une telle obsession à les incarner sur le mode de l'autorité brute, du clivage, de la rodomontade virile et presque machiste, pourquoi est-il si capital, à chaque instant, de se poser comme contre modèle à François Hollande, de nous faire peur et envie à la fois avec une main de fer dans un gant de fer quand "l'autre" est quasiment ridiculisé dans le fond et pour la forme ? Pourquoi tant de rage contre une douceur prétendue ? C'est un mystère absolu, pour moi, non pas que cette opposition au sein d'un même camp mais que cette manière de l'exprimer, de la mettre en scène.

Jean-Luc Mélenchon, après un détour par Marine Le Pen, est vite revenu, derrière ses combats secondaires, à son antagoniste essentiel, à François Hollande. Tant d'hostilité, presque de férocité, tant de dérision et presque de condescendance, pourquoi une telle charge rentrée d'inimitié qui explose, grâce au combat présidentiel, à chaque seconde ? Entre un Sarkozy qui l'insulte et un Mélenchon qui se moque, François Hollande n'aura pas trop de son sang-froid et de son apparente sérénité pour demeurer à flot. Aura-t-il encore le temps de revenir sur son erreur fondamentale qui a été de calquer sa campagne sur celle de Nicolas Sarkozy, même pour les deuils ? Les Français n'attendent pas en cette période un président bis mais un candidat suffisamment percutant, créateur et intelligent pour inspirer le désir et conduire à la défaite de CE président. Rien de plus, rien de moins.

Il y a de la revanche dans l'air. Les biceps de Jean-Luc Mélenchon ne sont pas destinés qu'à la République. Regardez comme je suis déterminé, courageux, comme je suis capable, moi, de parler haut et fort tout le temps ! Il montre qui il est, il démontre ce dont il est capable, les jours de gloire sont arrivés non pas seulement pour les citoyens mais contre le PS, contre le "petit chose" discret qu'il a été, contre le passé, contre le Mélenchon d'hier guère aimé, contre tout. Contre ceux qui ne l'ont pas cru, qui n'ont pas cru en lui.

Une revanche qui fait surgir en majesté et en fureur le Mélenchon d'aujourd'hui et de demain.


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