Projet Justice
Justice au Singulier - philippe.bilger, 3/02/2015
Il n'a pas fallu longtemps pour que le durcissement légitime d'une démocratie désireuse de se défendre à la suite des atteintes odieuses que le terrorisme islamiste lui a causées soit remis en question.
Ainsi, sous l'influence négative de Christiane Taubira qui ne cesse pas de traîner un esprit en peine depuis quelques semaines, sont mis des bâtons dans les roues et de la faiblesse dans des rouages qui cherchaient à devenir plus opératoires sous l'effet des assassinats récents.
Heureusement, le projet calamiteux de réforme de la justice des mineurs, fondé, contre l'évidence sociologique, sur une amplification de l'éducatif et sur une césure absurde, dans le procès, entre la déclaration de culpabilité et la sanction a été reporté aux calendes grecques.
Par ailleurs, Christiane Taubira a refusé de répondre aux questions d'Eric Ciotti et de Georges Fenech qui mettaient en cause les réductions de peines pour les condamnés islamistes.
Depuis le mois de mai 2012, tout ce qui déstructure et défait a été mis consciencieusement en oeuvre sur le plan judiciaire.
On a pleuré sur la condition pénitentiaire mais on a laissé dans certains établissements le personnel de surveillance sous l'emprise des détenus.
La loi sur la contrainte pénale, même si elle est peu appliquée, a affaibli encore davantage le dispositif répressif au prétexte qu'il convenait idéologiquement de constituer la prison, plus que le délinquant récidiviste, comme responsable de la récidive.
On s'est obstiné à invoquer un peuple fantasmé pour n'avoir surtout pas à satisfaire les attentes du peuple réel.
On a rendu plus faciles et quasiment inévitables les révisions criminelles avec une démagogie qui, pour avoir fait l'objet d'un vote unanime, n'en était pas moins irresponsable. On a continué à agrandir une brèche déjà trop ouverte.
Pour lutter contre l'insupportable autorité, de nos jours, de la chose jugée, parce qu'il serait inconvenant, même dans ce domaine capital dont la stabilité importe, d'oser prétendre à une légitime fixité, on fait feu de tout bois.
Il n'est pas une instance, pas un groupuscule, pas une émission qui ne se croient fondés, au nom d'une mission dont personne ne les a investis, à frapper de caducité les condamnations même les plus incontestables, les arrêts même les plus irréfutables comme si les dénégations de tel ou tel valaient plus forcément que l'action de la police et de la justice. Comme si ces dernières avaient évidemment tort quand la sanction consacrait leur nécessaire solidarité.
Le comble, maintenant, est la création d'un Projet Innocence par un avocat lyonnais Sylvain Cormier auquel je ne veux aucun mal mais dont l'entreprise, quoique dans l'air du temps et inspirée par les Etats-Unis, me semble très sujette à caution en France et en tout cas de nature à rendre encore plus fragile - pour rien - une justice criminelle discutée, quand un grand avocat a perdu sa cause ou si des médias l'ont faite leur ou si un quelconque comité de soutien s'est constitué pour jouer au justicier, le plus souvent ignorant.
Projet Innocence a sollicité le concours d'un ancien avocat général Pierre-Yves Coste qui a requis deux acquittements obligatoires dans les affaires Dils et Secher et va participer à une opération vulgaire de déstabilisation alors que son ancienne fonction avait pour finalité de consacrer la force durable de l'état de droit.
Projet Innocence, choisissant quelques dossiers qui ont été jugés avec les recours épuisés, participe d'un triste engrenage qui n'a pour but que de persuader l'opinion publique que les cours d'assises, et donc le peuple français, statuent en général sans clairvoyance, lucidité et conscience.
Je persiste : il y a plus une mythologie de l'erreur judiciaire que de véritables erreurs judiciaires.
Ce monde qui réclame justice et qui la détruit, cette incoercible aspiration à rendre de plus en plus contingent le nécessaire qui a été délibéré et décrété, cette manie de ne chercher à convaincre le citoyen que d'une seule leçon : la justice va mal, elle se trompe !
J'en ai tellement assez de cette dévastation lente, redoutable, inéluctable, favorisée par la mauvaise foi et la superficialité que je rêve du seul projet qui vaudrait la peine d'être conçu et mené à bien.
C'est sûr, aujourd'hui il n'intéresserait personne. Il préférerait les vérités banales aux mensonges sulfureux, aux provocations absurdes.
Projet Justice.
Un beau mot, non ?