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L'épuration du vocabulaire : un rêve français ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 4/10/2015

Initialement je voulais intituler ce billet : un rêve de gauche ? Mais il faut m'y résoudre : la controverse suscitée par Nadine Morano et tant de polémiques antérieures manifestent que l'épuration du vocabulaire est un rêve français et consensuel. Dommage.

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Comme on maîtrise de moins en moins le langage, on a de plus en plus peur des mots.

Nadine Morano aurait dû avoir peur de prononcer, dans le climat actuel, le mot "race" même si on a traité cette imprudence, s'abritant derrière le général de Gaulle dans un contexte ancien, avec une enflure politique et médiatique qui aurait pu laisser croire que la France n'avait pas d'autres chats plus graves à fouetter.

Laurent Ruquier avec honnêteté a reconnu l'avoir un peu poussée et, n'ayant pas à s'excuser de l'avoir invitée, a admis qu'il "l'aimait bien". Nadine Morano que beaucoup, avec une bonne conscience indécente, méprisent parce que, profondément, elle n'est pas de leur monde.

Le candidat François Hollande avait promis de supprimer le mot "race" de la Constitution et heureusement il n'a pas tenu son engagement.

Maintenant des députés et sénateurs du Front de gauche projettent de faire voter la suppression de ce substantif honni de tous les textes de lois où il se trouve.

Un ministre dont le bon sens paraissait indéniable, Michel Sapin, s'est lui aussi piqué de formuler une appréciation favorable sur cette obsession d'éradication.

Cette démarche est démagogique et absurde de même qu'en 2012, les velléités de François Hollande. Elles oublient, par exemple, que si en 1946, comme l'a rappelé Didier Maus, on a écrit le mot "race", c'était précisément au nom de la lutte contre le racisme et pour désigner l'ennemi.

Mais au fond, puisqu'on a pris le parti après la maladresse de Nadine Morano de condamner à mort, législativement parlant, le terme "race", pourquoi jouer petit bras, petit esprit et ne pas se pencher plus sérieusement, avec plus de rigueur, sur une entreprise plus vaste, en s'assignant une mission autrement plus ambitieuse ?

Epurer le vocabulaire de fond en comble. Voilà qui serait à la hauteur du rêve français et les complexités et tragédies internationales, malgré les apparences, ne feraient pas le poids au regard de ce nécessaire et salubre défi !

En effet, ce chantier est immense qui permettrait au progressisme impeccable et totalitaire de faire des siennes. Le langage est un outil trop dangereux pour être laissé à la disposition des esprits, des libertés et des bouches !

Quelques exemples qui démontreront qu'il n'est que temps de mettre bon ordre à cet intolérable désordre des mots, à cette périlleuse surabondance du vocabulaire.

Supprimons "sexe" parce qu'il pourra être qualifié de faible, "femme" parce qu'elle pourra n'être pas reconnue pour l'égale de l'homme, "différence" parce que des malappris pourraient douter de la richesse qu'apporte la pluralité, "couleur" parce que l'évoquer risquerait d'égarer et de faire prendre une réalité constatable pour une supériorité, "blanc" parce que cet adjectif est impérialiste et n'a été que trop utilisé, "mérite" parce que toutes discriminations sont à proscrire, "honneur" parce que notre modernité ne doit plus s'embarrasser de l'esthétique de l'âme et du comportement, "grandeur" parce qu'on pourrait offenser les petits, "religion" parce qu'on pourrait donner mauvaise conscience aux incroyants, "histoire" car d'aucuns pourraient ne se soucier que de celle de la France, "liberté" parce qu'à trop en user, elle pourrait nous détourner de l'égalité pour tous, "débat" parce qu'il pourrait nous conduire à écouter l'autre, "argent" parce qu'il y a des pauvres, "art" parce que certains pourraient ne pas se sentir visés, "identité" parce qu'on se laisserait aller à la nommer française, "tolérance" parce qu'il n'y a plus de maisons pour elle, "justice" parce qu'on craindrait de ne plus voir désigner la seule société comme coupable...

Et ainsi de suite. Si on s'obstine avec acharnement et constance, l'épuration aura de la tenue et ne ne laissera plus que quelques termes neutres, indolores, sans risque pour la pensée, validés par la bienséance et destinés à un usage courant. On gardera évidemment, malgré son parfum institutionnel et conservateur, "mariage" puisque, depuis la loi sur le mariage pour tous, ce mot a quitté la sphère bourgeoise pour rallier, autour de lui, une communauté, des exceptions qui se sont éprises de la règle.

Initialement je voulais intituler ce billet : un rêve de gauche ?

Mais il faut m'y résoudre : la controverse suscitée par Nadine Morano et tant de polémiques antérieures manifestent que l'épuration du vocabulaire est un rêve français et consensuel.

Dommage.


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