Elysée moi !
Justice au singulier - philippe.bilger, 31/03/2012
Lors d'Objectif Elysée, l'excellente émission de Serge Moati sur La Chaîne Parlementaire, j'ai rencontré, pour un débat d'une heure, André Vallini sénateur socialiste, Bruno Beschizza de l'UMP et Stéphane Gatignon, maire de Sevran, pour EELV. Le thème central s'interrogeait sur "Police partout, justice nulle part ?".
Si l'affrontement a été parfois rude mais toujours courtois, il m'a permis de prendre conscience de la difficile conciliation de mon constat sur le bilan médiocre de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité et de justice avec mes inquiétudes sur la vision socialiste.
Non pas qu'il faille reprocher forcément au Parti socialiste de n'avoir pas voté les lois "sécuritaires" qui émanaient de l'adversaire. Cette abstention à elle seule ne permet pas d'imputer aux socialistes une indifférence ou une frilosité à l'égard de ces problèmes au coeur de l'inquiétude citoyenne. Elle pouvait résulter d'une autre conception et par conséquent souhaiter d'autres dispositions législatives fermes mais autrement, garantissant sur un autre mode cette quadrature du cercle républicain : une lutte efficace contre l'insécurité en même temps que la sauvegarde des libertés.
Ce qui m'apparaît plus inquiétant, et sur quoi André Vallini (qui a une grande importance, à l'évidence, dans le dispositif socialiste et pour l'avenir, à voir l'étrange nouvelle plainte portée contre lui par un ancien bâtonnier de Grenoble) a tenté de me rassurer, est l'impression ambiguë que suscite le programme socialiste dans ces domaines (Le Figaro). Une générosité et un humanisme abstraits avec une tendance à défaire par principe ce que le précédent pouvoir avait élaboré mais avec un retour au réel et des critiques pour plus de vigueur et d'autorité seulement quand il s'agit de marquer des points sur le plan politique et qu'ils sont dans l'opposition.
Je ne suis pas persuadé que le socialisme ait tiré toutes les conclusions de la fin de la naïveté imposée par la déconfiture de Lionel Jospin. Comme si c'était toujours à contrecoeur, à contre-esprit que la gauche se laissait gouverner par des considérations autres que purement idéologiques.
Pourtant, elle devrait au moins réfléchir à un sondage CSA qui démontre peu ou prou que "les citoyens de gauche comme de droite plébiscitent les propositions de l'Institut pour la Justice" (IPJ), dont trois d'entre elles ne méritent pas d'être rejetées sans avoir été soupesées comme il convient : 90% des Français pour une perpétuité réelle pour les crimes les plus graves, 70% pour la construction de 30 000 places en prison et enfin 90% pour une application minimale des trois quarts de la peine. Ce sondage exploité par l'IPJ ne démontre pas nécessairement la pertinence de ces exigences mais manifeste qu'une part de l'électorat de gauche est beaucoup plus accordée que ses dirigeants à l'élaboration d'une politique sévère à l'encontre des délinquants et des criminels.
Le double langage qui pourrait demeurer entre volontarisme du discours et faiblesse concrète serait dévastateur pour ceux qui attendent une confirmation des résolutions par des actes, le moment venu.
En face, pour faire pièce à ces scrupules, ces inconséquences, cette écoute, mais peureuse, du réel, il y a un cynisme assumé. Nicolas Sarkozy a été qualifié par son épouse, dans Elle, "d'homme d'Etat, et non d'homme politique". Alors que depuis le 1er janvier 2012, il est au contraire homme politique, seulement et à plein temps, avec des facilités, des attaques et une dérision à l'encontre de son adversaire principal qui ne rassurent pas sur les changements de personnalité promis pour le second quinquennat. Une surenchère délibérée dans la présentation de mesures destinées, dans la précipitation, à non pas convaincre mais détourner. Ainsi, devant l'IPJ, il était évident que Nicolas Sarkozy, fidèle à cette ligne si peu républicaine au moins dans la démarche, allait jeter encore, pour complaire à Xavier Bébin et à la multitude ayant signé le pacte pour la justice, une série d'extrémismes arrivant sur le tard mais qui ne seront sans doute pas les derniers. La question n'est pas qu'ils aient de la valeur en eux-mêmes mais qu'ils donnent l'impression de pousser jusqu'à ses limites ultimes un affichage de répression et presque de frénésie susceptible de flatter le peuple instinctif souhaité. Ainsi, sans barguigner, perpétuité pour les crimes sexuels répétés, extension des peines plancher aux réitérations, motivation des cours d'assises pour exclure ou non l'application de la détention de sûreté, plus de fermeté pour les mineurs délinquants (nouvelobs.com), tout cela asséné à partir d'affaires qu'il connaît mal ou à peine commencées.
Non pas qu'on ne puisse, avec un tel système de démagogie pour seulement "Elysée moi", trouver encore des ressources pour aller plus loin. La sévérité en elle-même peut ne pas apparaître absurde à l'encontre de délits, de crimes ou d'une dangerosité à venir, le "toujours plus" est même une démarche qui aura peut-être l'avantage de distraire quelques adhérents du FN de Marine Le Pen mais à quel prix ! De la même manière que cette droite qu'il avait fait aimer en 2007 est devenue la pire, cette obsession tactique de paroxysme judiciaire dévoie, aux yeux de certains dont les miens, la légitime défense d'une démocratie sachant répliquer, sans se renier, à tous ceux qui attaquent ses règles et ses lois en les violant. Nicolas Sarkozy est en train, sur ce plan aussi, de mettre au rancart l'honneur d'une certaine droite dont le souci de fermeté et la volonté de justice n'ont rien à voir avec cet opportunisme brutal, avec cette fuite vers un nouvel Elysée, quoi qu'il en coûte.
Henri Guaino, dans un entretien, affirme qu'il n'est gêné par rien dans cette campagne et que sa référence, c'est la République et seulement la République (Le Monde). Franchement est-il profondément républicain, pour gagner des voix, de spéculer, de parler et d'agir ainsi, trois semaines seulement avant le premier tour ?